Plaisirs inconnus : Nouvelle vague
Cinéma

Plaisirs inconnus : Nouvelle vague

Comment témoigner du désarroi d’une génération qui ne sait pas où elle va? Comment rendre compte du mal de vivre d’une jeunesse sans désir? Pour son troisième long métrage, Jia Zhangke (Platform) opte pour la plus grande sobriété. Suite officieuse de Xiao Wu, artisan pickpocket (le réalisateur renoue avec son personnage de truand), le très contemplatif Plaisirs inconnus présente deux jeunes hommes en pleine crise existentielle dans une société toujours ancrée dans ses idéaux communautaires malgré les réformes  politiques.

Comment témoigner du désarroi d’une génération qui ne sait pas où elle va? Comment rendre compte du mal de vivre d’une jeunesse sans désir? Pour son troisième long métrage, Jia Zhangke (Platform) opte pour la plus grande sobriété. Suite officieuse de Xiao Wu, artisan pickpocket (le réalisateur renoue avec son personnage de truand), le très contemplatif Plaisirs inconnus présente deux jeunes hommes en pleine crise existentielle dans une société toujours ancrée dans ses idéaux communautaires malgré les réformes politiques. Inspiré d’une histoire du philosophe taoïste Zhuangzi à propos de la liberté absolue, le titre original chinois Ren Xiaoyao signifie "libre de toute contrainte"; c’est aussi le titre d’une chanson sortie en 2001, très populaire parmi les jeunes Chinois lors des karaokés. Choisi par le réalisateur-scénariste, le titre Plaisirs inconnus renvoie amèrement à tous ces plaisirs vers lesquels tend vainement la jeunesse chinoise.

Tourné à Datong, ville industrielle du Shanxi (province natale du réalisateur), dans le Nord de la Chine, Plaisirs inconnus n’a pas la grisaille de Platform (auquel on fait un clin d’oeil lors d’une scène de vente clandestine de DVD). Jia Zhangke s’est plu à tourner en numérique pour le décalage des couleurs que cela produit. Malgré ce changement, on reconnaît aisément la signature singulière de l’auteur: de très longs plans-séquences parfois silencieux, des bruits hors-champ, des amoureux perdus dans le même décor ne sachant pas communiquer leurs émotions, et des dialogues laconiques.

À l’instar de Platform, le propos contamine la forme. Et Plaisirs inconnus risque de mettre la patience de plus d’un spectateur à l’épreuve. Mais c’est là où réside la grande force de l’oeuvre de Jia Zhangke, 32 ans, qui ne cherche pas à séduire, mais à faire le portrait fidèle et pas forcément linéaire d’une situation désespérante. Par sa lenteur, la quasi-immobilité de certains plans, la répétition jusqu’à l’absurde de gestes (comme la jeune chanteuse repoussée brutalement par son fiancé de manager) et le jeu mécanique des acteurs, ce film traduit le marasme quotidien de ces jeunes, prisonniers des valeurs familiales et traditionnelles qu’ils rejettent au profit d’idéaux individuels irréalisables. Triste et cruel constat d’une génération désaccordée qui appréhende l’avenir avec des réflexes anciens, Plaisirs inconnus rend compte avec force d’un douloureux problème de société, résumé dans cette image d’une superbe autoroute où aucune voiture ne roule. Troublant comme la Nouvelle Vague.

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