Gangs of New York : Bouillon de culture
Martin Scorsese, passionné par l’histoire de la création de New York, a ruminé longtemps avant de sortir son épopée, basée sur le livre-culte Gangs of New York, de Herbert Asbury. La liste des chiffres est énorme, certainement aussi enflée que les engueulades entre Marty et Harvey Weinstein de Miramax pour la longueur finale de l’oeuvre. Voici donc 2 heures 45 minutes de film, un concentré de 137 jours de tournage qui a monopolisé les studios de Cinecitta à Rome, avec plus de 100 rôles parlés.
Martin Scorsese, passionné par l’histoire de la création de New York, a ruminé longtemps avant de sortir son épopée, basée sur le livre-culte Gangs of New York, de Herbert Asbury. La liste des chiffres est énorme, certainement aussi enflée que les engueulades entre Marty et Harvey Weinstein de Miramax pour la longueur finale de l’oeuvre. Voici donc 2 heures 45 minutes de film, un concentré de 137 jours de tournage qui a monopolisé les studios de Cinecitta à Rome, avec plus de 100 rôles parlés.
Et le résultat fait enrager. Heureusement! Le pire aurait été l’indifférence. On se battra donc pour savoir si c’est un bon film, un beau film ou un grand film. Film raté est exclu. Gangs of New York est enlevé et bouillonnant; un feu bien entretenu, qui se consume comme une chaudière de locomotive. Magnifique de couleur et de fureur. Splendide de précision et de souffle. En trois étages, New York se dessine: Scorsese a réussi à mélanger le drame personnel (le combo Daniel Day-Lewis, Cameron Diaz et Leonardo DiCaprio), les enjeux politiques (les nombreux gangs qui contrôlaient la ville à la fin du XIXe) et la toile de fond (l’énorme immigration irlandaise et la guerre de Sécession). Chaque sphère colore les autres, un travail richissime de couches en transparence dans un scénario signé Jay Cocks, Steven Zaillan et le réalisateur de You Can Count On Me, Kenneth Lonergan. Comment ne pas être emporté, il y a tant à voir! Un théâtre chinois suffocant comme le Globe Theatre; The Old Brewery, enchevêtrement digne de Da Vinci, et ses catacombes-boyaux; et le bar, Satan’s Circus, haut lieu de la dépravation; et enfin cette place au milieu des Five Points, large mais étouffante, comme le reste. Les Irlandais débarqués sitôt enrôlés dans l’armée, les groupuscules qui ne connaissent que la loi du plus fort, le racisme outrancier, la chevalerie même dans la boucherie, la peur, le meurtre et le vol en guise de mode de vie; au milieu d’un bouillon de culture, un seul fil d’Ariane: sentir le poumon d’une ville qui deviendra la plus incroyable cité du XXe siècle.
Mais on rage tout de même. Pourquoi ce type, metteur en scène surdoué du flamboyant par la sobriété, s’est-il laissé berner par l’approche standard de type "saga 101"? Pourquoi retrouve-t-on chez le réalisateur de Raging Bull, GoodFellas et même The Age of Innocence (le versant Upper East Side de Gangs of New York) une façon de faire qui ne lui va pas? On rage pour cette voix off qui embarrasse le visuel; on rage pour cette musique moderne qui casse le naturalisme dès la première bataille; on rage pour cette caméra qui remplace le simple champ et contrechamp par un manège. Il n’y a plus que les graves dans les tonalités, et le choc des armes a des chuintements d’épée laser. Un homme se coupe avec son rasoir en méga-gros plan ou une déflagration fait exploser des vitres: tout est égal, au même niveau, sans nuance dans les accents. L’exagération est certainement un travers contemporain de l’écriture cinématographique. Ici, l’accentuation gonfle aussi les attitudes (les acteurs jouent des caricatures, sauf Jim Broadbent), les situations (le manichéisme est inclus dans la boursouflure: pourquoi un flash-back chaque fois qu’Amsterdam croise un compagnon de son défunt père? Non! La force des premières scènes où l’on prenait connaissance des visages suffisait…), et la violence (le sang ne coule pas: il gicle). Et comme d’habitude, le sexe est la partie cachée de la sensualité. On préfère s’exciter dans un bain de sang à la Peckinpah. Rien qu’avec ça, on a le paradoxe américain, où l’on préfère se frotter aux armes qu’aux jupons!
Sans rire, ce formidable manipulateur d’histoires n’a pas besoin de ces artifices. Chez un Baz Lurhmann, les tics mode se personnalisent; chez Scorsese, ce sont des outils superflus. Des bosses sur son talent. Superflus, car si on les ôtait, on serait tout de même soufflé. Par les surprises d’une scène non attendue (sauf pour les derniers plans, plus que prévisibles); par cette première vision de la place sous la neige; par les ballets de foule; par la puissance de Brendan Gleeson. C’est grandiose et diablement américain: comme si La Horde sauvage avait pris possession de Sur les quais et des Bas-fonds de New York pour Naissance d’une nation…
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