Le pianiste : Musique solennelle
Cinéma

Le pianiste : Musique solennelle

Le Pianiste , cette incroyable histoire de survie, celle d’un homme seul, juif et artiste dans le ghetto de Varsovie, est époustouflante. Autant par les événements que par le ton emprunté pour les raconter.

C’est comme si Wladyslaw Szpilman avait écrit son journal intime de la façon la plus objective et journalistique possible. Les faits, à peine teintés d’émotion. Comme un barrage de froideur vital devant l’horreur. Or, aux commandes de l’adaptation cinématographique de ce livre bouleversant, il y a Roman Polanski, un homme qui a attendu d’avoir les cheveux gris pour se mettre à fouiller lui aussi dans une histoire personnelle qui commence par la perte des parents dans le ghetto de Cracovie. Derrière Le Pianiste, il y a donc le poids d’un double vécu. Mais ce sont aussi deux souffrances qui se cachent – Szpilman derrière une mémoire domptée avec sang-froid, et Polanski, derrière une histoire intime mais qui n’est pas la sienne et qu’il a peinte avec distance et recul. C’est le genre de souvenirs qu’on peut sans doute difficilement approcher de front. Cette histoire est racontée, certes, mais elle n’est qu’une partie de l’iceberg.

De voir le petit Polanski – celui qui a une cote d’amour indéfectible des cinéphiles malgré l’accumulation de daubes – tenir posément la palme d’or au dernier Festival de Cannes, ça noue la gorge. Cela ne fait pas forcément du Pianiste un chef-d’oeuvre, mais un bon film classique, et une palme consensuelle. Le film est même d’une élégante rigueur qu’on n’avait pas vue depuis longtemps chez Polanski. Plans soignés, caméra qui s’éclipse derrière le récit, faisant comprendre qu’on doit se poster en retrait pudique, dissimulé derrière des événements de plus en plus bouleversants, et mise en scène à la fois efficace, simple et sophistiquée. En cela, Polanski a épousé le ton du livre, avec qui il partage noblesse et grandeur d’âme.

Szpilman est un jeune pianiste talentueux de Varsovie. Il joue du Chopin à la radio quand une bombe éclate. Dans le premier tiers du film, les nazis installent leur machine à tuer: délimitation d’un ghetto, délation, famine, violence, exportation. On a droit à tout l’éventail. Mais l’espoir est là tant que la famille est là, autour de Szpilman, et qu’il peut jouer du piano. Au départ du convoi vers Treblinka, le pianiste sera sauvé in extremis, sa famille non. Heureusement, la scène du train est courte. Terrible, elle est un flash de mémoire. Et puis l’espoir meurt. Szpilman devient un errant dans le ghetto. Après les tourments émotionnel et musical du début, on tombe dans le silence, la peur, la faim, la nécessité de se cacher. Ses amis se raréfient, deviennent des ombres. On regarde la guerre par un coin de fenêtre. Au bout de trois ans de survie, Splizman sera sauvé par un officier nazi mélomane; ce qui donne lieu à la scène émouvante, quand le pianiste retrouvera l’agilité de ses doigts et son sens de l’interprétation, assez de dignité pour émouvoir ce qui reste d’humanité chez cet officier. Phénomène toujours troublant de vérifier que la vie ne tient qu’à presque rien, à quelques notes dans son cas.

Mais si la mise en scène de cette construction linéaire se déroule sans heurts, que parfois on pourrait même déplorer des longueurs (surtout dans les multiples cachettes de l’artiste), l’interprétation de Szpilman par Adrien Brody (Bread and Roses) éponge ces longueurs et éclipse les prestations des autres. Pleins feux sur lui, rien pour les autres. C’est son histoire, mais c’est dommage. Vraiment parfait casting que ce gars-là. Il a même des doigts que l’on aime imaginer aux pianistes…

Dans la froideur de ton que l’on espère voulue, on garde du film une montée dramatique tendue, qui se fige dans l’horreur et l’attente, puis qui se relâche dans une vision, un rien trop virtuelle, d’une avenue complètement démolie et d’un homme qui doit renaître, accroché à son art.

Dès le 17 janvier