Rétro Almodovar : Les clés de Pedro
Cinéma

Rétro Almodovar : Les clés de Pedro

La comparaison est possible. On peut, dans la même semaine, voir les premières oeuvres d’un artiste ainsi que son dernier opus. À la Cinémathèque, on présente en effet l’intégrale des longs métrages de Pedro Almodovar, jusqu’au 2 février, à la salle Claude-Jutra; et Hable con ella, qui est jusqu’à maintenant le point le plus abouti de son travail.En voyant ses premiers films, on comprend deux choses: où en était l’Espagne à la mort de Franco, et pourquoi Almodovar a gagné ses galons de rebelle.

La comparaison est possible. On peut, dans la même semaine, voir les premières oeuvres d’un artiste ainsi que son dernier opus. À la Cinémathèque, on présente en effet l’intégrale des longs métrages de Pedro Almodovar, jusqu’au 2 février, à la salle Claude-Jutra; et Hable con ella, qui est jusqu’à maintenant le point le plus abouti de son travail.

En voyant ses premiers films, on comprend deux choses: où en était l’Espagne à la mort de Franco, et pourquoi Almodovar a gagné ses galons de rebelle. À la fin des années 70, l’Espagne se réveille de la dictature franquiste comme un diable sortant d’une boîte, avec force café con cognac et des affiches de films pornos plus grosses que des panneaux publicitaires. C’est la libération. Almodovar a un peu plus de 30 ans, il est gay, sait très bien faire la fête et a beaucoup d’idées. Son premier long métrage, Pepi, Luci, Bom et les autres filles du quartier, date de 1980. Dès la première scène, on a droit à des plants de marijuana sur un balcon, et un flic pourri se jette goulûment entre les cuisses de Carmen Maura! Musique punk, concours de la plus grosse queue orchestré par Almodovar lui-même, ménagère sadomaso, coke et grandes folles: rien ne l’arrête. On n’est pas très loin de John Waters, mais on sent déjà une tendresse sous le gros délire. Deux ans plus tard, dans Le Labyrinthe des passions, une fille (déjà la Cécilia Roth de Todo Sobre mi Madre) mate les braguettes des gars, Imanol Arias fait la même chose et un tout jeune Antonio Banderas est très gay. Almodovar encore, en bas noirs et boucles d’oreilles rouges, en train de chanter, vaut son pesant de nougat… Il y a encore des punks, des grandes folles, mais aussi de l’inceste, une raillerie de l’actualité d’alors (la fuite du schah d’Iran et les démêlés mondains de Soraya), et une sexualité débridée. Le film est malhabile, voire assez mauvais, mais l’esprit provocateur est résolument là; comme le goût pour la déco bariolée et pour le mélodrame, qu’il continue d’affiner.

Malgré les maladresses qui vont suivre, notamment celles de Kika (1993) et de Talons aiguilles (1991), on ne s’ennuiera jamais dans le cinéma d’Almodovar. Avec de tels points de départ, on saisit vite les ramifications de son oeuvre. On a les clés. Déjà on parle beaucoup, déjà les femmes se crêpent le chignon, et déjà le sexe est une préoccupation principale. Déjà la tendresse des liens existe, mais plus dans une famille d’affinités choisies que dans la famille biologique, et le rapport aux enfants est d’ailleurs assez hallucinant de violence. Déjà les femmes ont le beau rôle. On remarque que le cinéaste est aussi fidèle à ses acteurs et actrices qu’à ses idées. Et chaque film qui suivra aura une couleur différente: violemment sexuelle dans Atame! (1990); romanesque dans La Fleur de mon secret (1995); socialement provocatrice dans Dans les ténèbres (1983); entretenant des rapports excitants avec la mort dans Matador (1986), etc. Il joue sa gamme comme un Fellini, en poussant toujours les mêmes pistons selon des intensités différentes. Le maître italien n’est d’ailleurs pas loin, dans le baroque des portraits, la scatologie, le kitsch et l’insolite. Entendre un peu de Nino Rota dans Le Labyrinthe des passions ne surprend donc pas. Comme il n’est pas surprenant en fin de compte d’arriver en majesté à un film aussi sereinement rebelle que Hable con ella

À la Cinémathèque québécoise
Du 9 janvier au 2 février