Rétrospective Jacques Leduc : Un sens social
Cinéma

Rétrospective Jacques Leduc : Un sens social

On est brouillon après le temps suspendu des Fêtes. Les films de Jacques Leduc se prennent comme une purge contre la surenchère cinématographique festive. Ça remet les idées en place. Ce qui pourrait être paradoxal, vu que rien ne semble justement en place dans ses films!

On est brouillon après le temps suspendu des Fêtes. Les films de Jacques Leduc se prennent comme une purge contre la surenchère cinématographique festive. Ça remet les idées en place. Ce qui pourrait être paradoxal, vu que rien ne semble justement en place dans ses films! Avec lui, c’est un peu l’aventure chaque fois – notion plus ou moins disparue du paysage actuel. Leduc a fait des films marquants (Chronique de la vie quotidienne, Tendresse ordinaire, On est loin du soleil, Trois pommes à côté du sommeil), taillés dans la même glaise que ceux de sa génération, celle des Denys Arcand, Roger Frappier, André Forcier et Francis Mankiewicz. Après un accueil frais réservé à L’Âge de braise (1998), Leduc travaille comme chef opérateur (L’Erreur boréale, Tu as crié: Let me go).

L’aventure, Pourtant on s’accroche aux films de Jacques Leduc par la banalité. Pas très glamour comme concept, mais l’essentiel de l’humain est là. Et il faut être bigrement généreux de nature et très talentueux pour arriver à transmettre cela: ces insignifiants petits riens qui font la vie, qui marquent l’appartenance. C’est quelque chose d’infiniment doux que d’aimer l’humanité ainsi, dans ses vides, dans les bibittes, les défauts et les matins pas frais; c’est autre chose que de réussir à les filmer. Une fille fait sa valise en prenant le plus de temps possible, en refermant toutes les portes chaque fois, c’est long et un peu étrange. On comprendra sa lenteur plus tard, avec émotion, dans On est loin du soleil (1970).

Dans la banalité apparente des gestes, dans la nonchalance des acteurs, dans l’anarchie des plans qui se succèdent sans suivre forcément une chronologie, dans le travail sophistiqué des sons, on sent la grille des années 60; le poids des théories sur le cinéma. Grande époque pour le social dont on témoigne en camarade, avec le travail comme pierre angulaire (Chronique de la vie quotidienne, Le Dernier Glacier). Des scènes en temps réel, des plans-séquences interminables, des entrées en matière intrigantes, des dialogues de sourds, des tics hermétiques très Nouvelle Vague qui perdurent jusque dans L’Âge de braise: il y a une façon de faire qui est datée chez Leduc, mais il y a aussi une sensibilité qui traverse les époques. Le cinéaste a su trouver le langage pour délimiter un territoire particulier, celui de l’homme québécois. On sait qui on est, en quelques plans. Politiquement, socialement, géographiquement et historiquement. On sait où on est et quand on est. Cela ne veut pas dire qu’on ne navigue pas dans la portée universelle: dans Trois pommes à côté du sommeil, c’est l’homme actuel, la quarantaine mondialement frileuse, que personnifie magnifiquement Normand Chouinard. Des plans de ville, un angle de rues, une voiture garée dans un banc de neige: c’est le banal du quotidien d’ici. Ce silence dans la cuisine après les funérailles dans On est loin du soleil, avec les hommes assis malpolis, mal dégrossis, et la femme debout qui sert le café: plus québécois que ça, c’est presque impossible.

Sensible du regard, Leduc sait saisir la direction du moment, en politique comme dans le reste. Comme Paule Baillargeon dans Trois pommes à côté du sommeil qui remarque que le temps des rêves n’est plus. Un autre film, monsieur Leduc, serait donc le bienvenu pour savoir où votre regard se poserait aujourd’hui…

À la Cinémathèque québécoise
Du 8 janvier au 19 février