Ten : Le goût de la vie
Ten , d’Abbas Kiarostami: Mettez les a priori à zéro en pensant que ce film-là n’est fait que pour les mordus de ciné, élitisme culturel à la noix. On demande seulement un minimum de curiosité. Ce n’est ni intellectuel, ni fatigant, ni songé, ni contraignant. Juste intéressant, et parfois drôle. Un autre regard sur le monde musulman, ça pourrait attirer pas mal de monde en ces temps obscurs; si le monde voulait bien se donner la peine de bouger de son salon!
Parce qu’il vient de trop loin pour la moyenne des ours nord-américains (Iran), et que ses films ne sont pas coulés dans le moule habituel, il faut sans cesse présenter Abbas Kiarostami, pourtant cinéaste contemporain majeur de 63 ans. Autodidacte curieux et penseur du langage cinématographique, il est connu pour sa trilogie, Où est la maison de mon ami (1987), Et la vie continue (1992) puis Au travers des oliviers (1994); mais surtout pour sa palme d’or décrochée à Cannes en 97 avec Le Goût de la cerise. Depuis, il a réalisé Le vent nous emportera en 1999, un film magnifique, ainsi qu’un documentaire sur les enfants atteints du sida en Afrique, ABC Africa, présenté à Cannes en 2001. Cette année, il s’est attiré les louanges avec Ten, son 12e long métrage.
Mettez les a priori à zéro en pensant que ce film-là n’est fait que pour les mordus de ciné, élitisme culturel à la noix. On demande seulement un minimum de curiosité. Ce n’est ni intellectuel, ni fatigant, ni songé, ni contraignant. Juste intéressant, et parfois drôle. Un autre regard sur le monde musulman, ça pourrait attirer pas mal de monde en ces temps obscurs; si le monde voulait bien se donner la peine de bouger de son salon! Toujours avec l’envie de faire évoluer la forme cinéma, Kiarostami a placé une caméra DV sur le tableau de bord d’une voiture (le véhicule est récurrent dans ses films); et avec des champs-contrechamps, il filme 10 rencontres entre la conductrice, une Iranienne divorcée et ses passagers. Une femme belle, qui parle du nouvel homme dans sa vie, qui travaille, et qui porte le voile (Mania Akbari), nous fait circuler dans les rues de Téhéran. Elle discute plusieurs fois avec son fils d’une dizaine d’années, tyran domestique secoué par le divorce, machiste au pays des machos, mais aussi avec sa copine, puis avec une prostituée, et une vieille dame fatiguée qui veut aller prier, etc. Kiarostami est un cinéaste qui favorise une approche systématique, répétant concepts et plans en les changeant d’un iota. Ces 10 rencontres sont donc des routines, mais de la répétition naît le tableau général, sorte de voyage initiatique au quotidien, chemin de croix dans un univers social très terre-à-terre, et cheminement d’un personnage féminin ballotté entre libéralisme et tradition.
Ce film est troublant, difficile à définir. On est autant dans un cinéma de fabrication totale que dans le documentaire; et on se demande si on touche au degré extrême ou au point zéro de la mise en scène. Est-ce un aboutissement du cinéma que de filmer avec ce minimum de moyens? Il est clair que si avec autant d’épure, une unité de lieu, une économie de mouvements on arrive à percevoir la générosité de l’auteur, son talent de directeur d’acteurs et son approche morale et sensible au monde, ça s’appelle encore du cinéma. À voir pour les 15 premières minutes, très choc, une discussion entre le fils et sa mère qui reste en mémoire pour le naturel et la virulence de la scène. Et puis, quel culot effarant dans le monde des femmes voilées et des cheveux sacralisés que cette scène où son amie laisse tomber son voile, montrant un crâne rasé… Juste de la curiosité, SVP, pour savoir de quoi l’ailleurs est constitué.
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