The Hours : Le grand jeu
The Hours , de STEPHEN DALDRY, est de la chair à oscars. Une mosaïque sophistiquée d’émotions fortes, intelligemment menée et très bien jouée. Sans humilité.
The Hours
a été un roman important, gagnant du Pulitzer et un des best-sellers de 1998. Écrit par Michael Cunningham, il retrace en une journée et de façon non linéaire un tournant dans la vie de trois femmes qui ont l’impression soudaine de ne pas vivre pour elles. Stephen Daldry, réalisateur britannique de Billy Elliot, en a acheté les droits et s’est attelé à mettre en images le grand oeuvre. Avec un talent certain. Pour la forme de The Hours, Cunningham avait été inspiré par le roman Mrs. Dalloway de Virginia Woolf, ou une journée dans la vie d’une femme et de son entourage, durant laquelle le vernis de l’assurance et de la bienséance va craquer. Daldry fait donc basculer la vie de la romancière Virginia Woolf (Nicole Kidman) dans les années 20 en Angleterre; de la femme au foyer Laura Brown (Julianne Moore) dans la Californie des années 50; et de Clarissa Vaughan (Meryl Streep), une éditrice, dans le New York d’aujourd’hui. Les trois femmes sont confrontées à un mal de vivre important qui, avec des sensibilités plus ou moins écorchées et des vécus différents, fera de cette journée une plaque tournante majeure.
Nous avons donc un film charnu comme on les aime, avec plusieurs couches. Le montage fluide passant d’un temps à un autre hachure le récit, mais l’oeuvre conserve néanmoins une forme classique. On raconte une histoire par une caméra sobre qui veut se faire oublier et qui s’en remet au talent des acteurs, et surtout des actrices. Car c’est avant tout un film d’actrices. Notons d’emblée les présences lumineuses de Toni Collette, Claire Danes et Miranda Richardson; mais surtout celles des trois protagonistes, dont on a du mal à dire laquelle fait meilleure figure. Streep, peut-être, encore époustouflante si cela était possible, surtout dans un plan-séquence où elle converse, puis s’écroule, puis redevient elle-même dans sa cuisine, en train de casser des oeufs, face à un Jeff Daniels convaincant. C’est un film sur les femmes en questionnement, sur la part sombre de la psyché féminine; un truc un peu déroutant et angoissant où mort et don de soi sont intimement liés; et sur la force mais aussi l’immatérialité des liens tissés entre elles que le réalisateur a choisi d’illustrer par des signes très délicats: par un roman écrit par l’une, et qui devient source d’influence pour l’autre et d’identification pour la dernière; par les fleurs présentes dans les trois temps; et par un baiser donné par les protagonistes, à un moment-clé de chaque histoire, véritable souffle d’amour et de vie.
Porté par la musique de Philip Glass qui enveloppe justement les trois destinées, The Hours aborde d’autres aspects de la construction d’un être pensant: sa faculté de choisir; les conséquences parfois dramatiques de ses choix, surtout celui de ne pas se soumettre (à un mari, à une maladie, à des démons intérieurs, à la tyrannie de ceux qu’on aime, etc.); le don de compassion et celui de la création; l’intelligence douloureuse d’appréhender la vie en sachant que l’on doit mourir; et, en contrepartie, le respect que l’on porte à cette vie. Beaucoup de concepts philosophiquement lourds et pas forcément féminins, mais ces notions se tissent les unes aux autres avec légèreté et nous sont communiquées dans des non-dits, parfois aussi a priori insignifiants que le plan d’une femme en réflexion dans un ascenseur qui monte. Laura Brown peine à faire un gâteau d’anniversaire pour son mari (éternel époux lourdaud qu’est John C. Reilly); Virginia Woolf est bouleversée par la mort d’un oiseau; et Clarissa veut que tout soit parfait pour un party donné en l’honneur de son ami le poète mourant du sida (émouvant Ed Harris). On pleure souvent, tant la charge émotionnelle est riche et diversifiée. Mais malgré tout, The Hours reste un film cérébral sophistiqué. Assez habile pour nous amener à pleurer, mais sans jamais s’abandonner. C’est une superbe cathédrale, construite sur un scénario qui tourne les coins pour satisfaire l’unité de temps (confession finale de Julianne Moore presque incongrue) et sur le jeu ultra-solide de ses trois actrices. Grâce à leur immense talent, on ne devrait pas sentir cette surdose de jeu. Or, on la sent. Tout est trop dans ce film, les hasards, les destinées comme les sentiments. Mais la démarche est de qualité. L’approche est juste grandiose, un rien grandiloquente. Un oscar ou deux peuvent bien tomber sur ce mélodrame.
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