City of God : Belle barbarie
Cinéma

City of God : Belle barbarie

Un film brésilien qui déménage, actif sur le mode cool et violent. Un bon film qu’on voudrait détester. Un peu de misère, avec ça?

Il était une fois une des pires favelas de Rio, Cidade de Deus, construite dans les années 60 pour parquer les plus démunis. L’écrivain Paolo Lins en a fait une brique de 700 pages et de 352 personnages. Et Fernando Meirelles, un réalisateur de pubs originaire de Sao Paulo, l’a condensée en images. Cidade de Deus (City of God) fait parler de lui depuis Cannes et on comprend pourquoi. Le prétexte est basé sur des faits réels, le destin de deux gamins qui ont grandi dans le même bidonville: Buscape "Rocket " (Alexandre Rodrigues), qui se tient loin du crime et deviendra photographe, et Ze Pequeno "Lile Dice" (Leandro Firmino da Hora), qui veut devenir chef de gang et le deviendra. Pas un temps mort, peu de moments pour reprendre son souffle, et pas un poil de sec; ce film est une machine infernale. Visuellement, ça déménage, mais tout déménage de nos jours: caméra nerveuse, montage saccadé, accélérés et ralentis sur panoramiques qu’on dirait rejoués sur ordinateur (mais tout a été fait, semble-t-il, en dolly régulière). Pour 3 millions $, Cidade de Deus fait un maximum d’effet. La première scène de cavalcade après un poulet donne tout de suite le ton. Le film se découpe en trois époques, avec dégradation graduelle du bidonville, de son tissu social et des couleurs, de moins en moins chaudes. Sur ces tranches chronologiques, on navigue transversalement avec des personnages que la voix off de Rocket présente, met de côté, puis reprend pour raconter leur bout de vie. En deux heures, on prend le temps de croiser tous les protagonistes avec aisance. Le ton est enjoué, jamais cynique ni condescendant. On est à hauteur de bidonville. Sans le réalisme magique d’un Garcia Marquez, ni l’hyperréalisme d’un documentaire sur Rio, ça navigue dans la fatalité des choses. C’est bien joué, bien raconté, terrible, drôle, haletant et déroutant, et on ne sait jamais dans quelle direction le fusil va tirer. Et ça tire.

Cidade de Deus est le genre de film dont on aime questionner la responsabilité. Meirelles a passé huit mois avec des gamins des rues, qu’il a fait jouer dans un film. Première responsabilité. Ce film voyage, et un public qui ne comprend rien à l’enfer des favelas va prendre dans la gueule cette mise en scène de la violence. Ce même public se demandera alors durant cinq minutes si le film dénonce ou se joue de l’horreur, puis il retournera chez lui se coucher. Seconde responsabilité qui devient la nôtre. Pourquoi? Parce que l’angle justement, celui de la fatalité. Tous les personnages, même les plus dingues, comme Lile Dice, nous sont sympathiques. Ils ont tous des excuses. Ils tuent et ça les fait rire, mais rien n’est vraiment de leur faute, c’est comme ça. Voilà un film sympathiquement violent, qui colle à une époque où le cocktail cool-conscientisation-violence n’en finit plus d’être à la mode. Soit, mais on s’entend tout de même pour dire que Cidade de Deus stigmatise le pire cauchemar de la civilisation et représente l’inacceptable: des enfants qui meurent jeunes, des vies gâchées comme des munitions, une organisation sociale tenue par la drogue et la corruption en dehors de tout progrès social; plus le regard d’un cinéaste qui en fait un western; plus le nôtre, lointain, lâche et gavé, et si peu outré devant un autre étalage d’olvidados.

Alors, bien sûr, on peut trouver ce film fascinant, il l’est. Bon scénario, excellentes scènes, dialogues vifs et sacré rythme. Du bon cinéma. Manipulateur à souhait. Certaines images vont même nous suivre dans la rue: celle d’un rire démoniaque sur le visage d’un tueur qui n’a pas 10 ans et celle d’un petit en larmes parce qu’on lui donne le choix de sa torture. Reste qu’on peut, de temps à autre, avoir en travers de la gorge – pour ne pas dire ailleurs – ce processus systématique de mise en art de la misère.

Voir calendrier
Cinéma exclusivités