Décalage horaire : Amour, douane et fantaisie
Cinéma

Décalage horaire : Amour, douane et fantaisie

"Pour la vraie comédie romantique, les Français sont trop cyniques. Les héros s’aiment, mais à la fin ils se quittent et ne se reverront plus jamais. Ça, c’est le truc français! Le meilleur exemple de vraie comédie romantique française réussie, Un homme et une femme, date de 35 ans…" Danièle Thomson n’est pas cynique, et en plus elle est habile.

"Pour la vraie comédie romantique, les Français sont trop cyniques. Les héros s’aiment, mais à la fin ils se quittent et ne se reverront plus jamais. Ça, c’est le truc français! Le meilleur exemple de vraie comédie romantique française réussie, Un homme et une femme, date de 35 ans…" Danièle Thomson n’est pas cynique, et en plus elle est habile. Fille de Gérard Oury, scénariste surdouée de La Grande Vadrouille, La Folie des grandeurs, Les Aventures de Rabbi Jacob, La Boum, La Reine Margot, Ceux qui m’aiment prendront le train, entre autres, et réalisatrice appréciée de La Bûche, elle a attendu le bon moment pour sortir de son tiroir une petite histoire écrite il y a une dizaine d’années. À Toronto, durant le Festival, elle était là pour la première mondiale de Décalage horaire, facilement traduisible et exportable en Jet Lag, avec les stars de son film, Juliette Binoche et Jean Reno, les vedettes françaises les plus traduisibles et exportables de l’heure. "J’avais vendu l’histoire à plusieurs personnes à Hollywood. Je recevais des chèques de droits d’auteur, mais à chaque proposition d’adaptation, je disais non. J’avais l’instinct de dire non." Réunissant deux familles de cinéma apparemment incompatibles en Binoche et Reno; organisant son tournage sous le dôme du terminal F de Charles-de-Gaulle dans un post 9-11 fébrile et sous haute surveillance, Danièle Thomson a travaillé avec précision pour trouver le ton juste de sa comédie.

Deux êtres que tout sépare, un grand chef blasé et une esthéticienne malheureuse, chacun le coeur pris dans une histoire fumante, vont être à couteaux tirés durant les trois quarts du film. Normal. Mais, moins banal, ils sont coincés dans un no man’s land impersonnel où le romantisme a du mal à éclore, les halls et hôtels d’aéroport misant plutôt sur le pratique. On frise le huis clos. Et c’est ce qui faisait peur aux Américains. Il a fallu beaucoup de répétitions et un sens du rythme pour maintenir crédibilité et légèreté dans cet exercice de style qui, comme toute bonne comédie, s’appuie sur du tragique. "Avec cette histoire, je touchais à un autre univers et travailler ainsi, c’est un plaisir. C’est comme sucer un bonbon… ", explique Juliette Binoche. Même son de cloche chez Reno, plus ravi de sa partenaire que de la moumoute ondulée dont il est affublé. " Réunir Binoche et Reno, c’était l’idée. Ils font toujours les mêmes choses, et ils les font très bien. Ceci dit, on pouvait se tromper! Tout le monde avait la pétoche!" ajoute Danièle Thomson.

Cette dernière avait pensé à la Melanie Griffith de Working Girl et à la Marilyn dans Bus Stop pour le personnage de Rose l’esthéticienne. Et Binoche y est allée avec assurance, nourrissant son sens du populaire comme elle a rarement l’occasion de le faire. "Des parents communistes, une grand-mère coiffeuse et des copines de lycée qui mettaient de l’eye-liner: j’avais envie de construire un personnage comme ça", dit-elle simplement. Elle y va à fond: elle a le geste sûr pour se remettre de la laque ou du blush, forçant sur le maquillage flash, le talon haut et l’exubérance joyeuse qui prend le dessus chaque fois que le blues la tire vers le bas. Incarnation réussie. Parions que Binoche ne se cantonnera plus dans le drame.

Histoire impossible, amour de Barbie, scènes n’existant que pour des images payantes, film commandité par une compagnie de cellulaires, fin trop tirée par les cheveux: tout cela est juste, et on dira à peu près la même chose pour des Sleepless in Seattle et autres guimauves. C’est du conventionnel de qualité, dédouanable par toutes les cultures. Pourrait même se transformer en guilty pleasure un soir de grande mollesse.

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