Spider – Entrevue avec David Cronenberg : La bête noire
Cinéma

Spider – Entrevue avec David Cronenberg : La bête noire

Au sujet des bestioles, DAVID CRONENBERG s’y connaît comme un entomologiste. Que ce soient les limaces de Shivers ou les Mugwomps de Naked Lunch, ce monde de tentacules et de viscosité nous devient familier, pinacle d’une sensation cauchemardesque. Avec Spider, le plus connu des réalisateurs canadiens explore une autre créature, qui, malgré sa dénomination, est humaine.

Cette nouvelle bête, jouée par Ralph Fiennes, souffre de l’intérieur, perdue dans sa toile. Voilà un accès direct à la folie. L’auteur-culte cherche l’araignée au plafond, domaine dans lequel il s’y connaît également.

Au téléphone, Cronenberg explique la présentation du personnage principal: "De façon définitive, le premier plan du film met tout en place pour séparer Spider du flot des gens normaux sortant du train. Ils sont occupés, ils lisent des journaux, ont des enfants, ils conversent. Puis, soudain, Spider apparaît et tout devient plus lent… Son énergie et son métabolisme diffèrent. Il est obsessionnel, prudent et confus." Spider, silhouette voûtée, ramasse sa valise et marmonne des mots à la limite de l’inaudible. Au sujet de la préparation et du travail physique de Fiennes, Cronenberg affiche un professionnalisme pour le moins tatillon: "Spider qui débarque du train? Cela nous a pris huit semaines de travail pour en arriver là!" La méticulosité est extrême, jusqu’à la couleur de la nicotine sur ses doigts, jusqu’aux quatre chemises qu’il endosse l’une sur l’autre.

Quand Spider entre dans la maison londonienne qui accueille les patients fraîchement sortis de l’asile, le film devient la fenêtre de son intérieur. Quoique la toile de sa mémoire soit rompue, Spider retissera les mailles d’une jeunesse perturbée par la combinaison de l’affection maternelle (incarnée par Miranda Richardson dans un double rôle spectaculaire) et d’une aversion paternelle (Gabriel Byrne, en plombier). Un mystère psychologique au ralenti où les pièces du puzzle s’assemblent selon nos prédictions et représentent un portrait cher à Sigmund. "Je voulais que la cadence du film soit celle de Spider, explique le cinéaste. Que les gens dans la salle aient le métabolisme de Spider, deviennent Spider." Sans conteste, le film additionne les plans statiques, oblige à la patience, sinon à l’aridité. Ce qui rend le film tout à fait captivant. On entre ainsi dans la tête du personnage, pour assister, à son rythme, au film de ses réminiscences. Spider, adulte, est témoin des événements traumatisants de son enfance pour une seconde fois, dans le même cadre que la version originale. Et la souffrance arrive avec l’anticipation, et le retour de la mémoire. S’il évite physiquement ces humains, vestiges de ses souvenirs, il doit quand même les affronter.

L’auteur a décidé de s’offrir un casting uniquement britannique pour rehausser le réalisme du scénario de Patrick McGrath (qui a adapté son propre roman), et pour que les acteurs n’aient pas à se préoccuper des accents. Construit comme une intrigue aux couches successives s’achevant dans une révélation morbide (que l’on saisit relativement vite), Spider est du pur Cronenberg, aussi bon que les autres, mais avec plus d’aridité dans la forme et, paradoxalement, des rouages plus huilés dans l’exploration de la santé mentale que dans Crash et eXistenZ. C’est du Cronenberg à la fois léger et lourd. Léger, car on reconnaît les tics de l’artiste, mais ils sont parsemés avec parcimonie: juste un soupçon de sang, de sperme et d’animalerie visqueuse et filiforme (cette anguille enroulée que maman va cuisiner). Lourd, cependant, car suivre les méandres du cerveau fragile de Spider devient un jeu plutôt fatigant et ardu. La norme selon Cronenberg étant la mise en images d’une crise (identitaire, corporelle, en pleine schizophrénie ou à la limite de la folie), Spider se regarde comme un autre essai sur un caractère troublé, qui s’articule sur des problèmes d’identité, sur un long processus de travail de la mémoire que l’on dévide comme une toile et sur l’oedipe, LE sujet par excellence. Un cas de psychanalyse.

"On rencontre souvent des gens qui, un jour ou l’autre, ont perdu l’emprise sur la réalité et qui doivent combattre pour la retrouver. On se demande alors ce qu’est la réalité, ce qu’est la santé mentale. Ce sont des choses qui changent constamment." Comme les multiples toiles qui pendent dans la tête de Cronenberg.

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