The Favourite Game : Terrain de jeu
Sensualité en sourdine, errance et poésie: l’air est cool et simplement bien joué dans le dernier film de BERNAR HÉBERT. Comme une musique qui nous accroche…
Un film arrive avec une certaine tonalité, et on se dit soudain qu’on n’avait justement pas vu cette couleur dans le paysage depuis un bon bout. Et que cela manquait. Avec The Favourite Game, de Bernar Hébert, on se met au diapason de la sensualité et de la poésie. Très cool. Un film qui rappelle le décalage dans le quotidien, quand on prend conscience de cette autre dimension de soi, toujours mise de côté. La part d’enfance qu’on traîne. Le film, tourné en anglais, a ouvert les Rendez-vous du cinéma québécois. Il est tiré du premier roman de Leonard Cohen, qui date de 1963. Pas facile. "J’avoue qu’à la première lecture, j’ai eu du mal, explique Bernar Hébert. Et puis à la seconde, ç’a été le coup de foudre. Le livre est monté en une série de vignettes impressionnistes, sans construction, sans drame ou conflit. Mais les images sont venues à la seconde lecture. Et quand elles apparaissent, la construction d’une narration vient rapidement, afin que le spectateur puisse y trouver son compte." Le spectateur y trouve un scénario solide et articulé, denrée rare…
Léo (JR Bourne) se cherche. Entre Montréal et New York, il passe d’une femme à l’autre, s’interroge sur la place de ses souvenirs, voulant retrouver l’absolu de l’enfance. Une femme dont il tombe amoureux, Shell (Michèle-Barbara Pelletier, vibrante); quelques moments éprouvants; une perte: plusieurs événements vont servir de déclencheurs et permettre au poète de s’ancrer. Attention, ce spleen-là n’en est pas un. Mal de vivre mais pas de pessimisme, pas de dépression qui tire vers le bas. Au contraire, on sent des envies, des désirs qui partent de l’enfance et qui doivent avoir une résonance au présent. De façon pragmatique, on dirait de Léo qu’il est un trentenaire rêveur tardant à larguer l’enfance, mais qui va le faire sans rechigner, comme les autres, après quelques prises de conscience.
La poésie fait toute la différence. "Ce que j’espère, c’est que le public soit touché par la démarche humaine, par cet homme. Et, si possible, qu’il soit aussi touché par le questionnement sur la création de la poésie. Mais l’intangible, c’est ce qu’il y a de plus difficile à trouver." Hébert, toujours fasciné par les processus de création (Le Petit Musée de Vélasquez, La Nuit du déluge, et bientôt un film sur le peintre Cosgrove), sait éclairer cette chose quasi surnaturelle et magique qu’est la mise en place de la création. "Ce que j’ai aimé, c’est comment il s’enfonce dans sa quête. Léo est d’abord incapable d’être touché, puis il commence à se rendre compte des autres." Mais pas d’approche baroque cette fois, The Favourite Game se joue en jazz, de façon fine et fluide.
Dans le roman de Cohen – absent du projet pour cause de ressourcement en Inde -, Léo est un homme des années 60, quand les gars pouvaient être des goujats au nom de n’importe quoi et que les femmes étaient d’abord des muses. "À la quatrième version du scénario, il y avait encore beaucoup de femmes, raconte le réalisateur. J’ai coupé, et j’ai renforcé certains rôles. Les rapports ne sont plus les mêmes aujourd’hui. Dans le roman, Léo ne se fait pas remettre en question. Là, on lui dit ses quatre vérités, on s’oppose à lui." Mais si les moeurs évoluent, le temps, lui, reste en suspens. On reconnaît Montréal et New York, mais l’usuel, de la voiture aux vêtements, reste dans le flou présent sans tendance particulière, à une ou deux décennies près. "La structure du temps est volontaire, et j’ai cadré serré pour rester dans l’univers intérieur", explique le réalisateur. Il s’est attardé sur les chambres de motel, décor parfait pour le sexe et la réflexion. Une en particulier retient l’attention, avec deux fenêtres ouvertes sur deux horizons, qui a l’étrange ambiance d’une cabine de bateau. Si on remarque le travail des artisans sur ce film (Serge Ladouceur à la photo, Serge Bureau à la direction artistique, François Laplante aux costumes, Philippe Ralet au montage, Pierre Blain au son), c’est que toutes les forces de création concordent. Les musiques de Cohen, les musiques originales, le jeu des acteurs, l’éclairage, le choix de la chemise, de l’auto, du café Reggio et des meubles de motel: on sent l’unité, la même compréhension de l’histoire à raconter. Enfin, il fallait un drôle de héros, aussi séduisant qu’imbuvable, qu’on ne se sente pas obligé d’aimer mais qui aiguise l’attention. Mission accomplie, le sourire de JR Bourne est à la fois glacial et charmeur.
Bref, un film au charme étrange, un peu ancien. On croyait même que cela ne se faisait plus…
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