L’Auberge espagnole/Cédric Klapisch : Union libre
"Je mis le doigt sur un truc que je ne soupçonnais pas… " Comment Cédric Klapisch, réalisateur de L’Auberge espagnole, aurait pu imaginer pareil succès? "Trois millions de spectateurs, ça ne se prévoit pas… " ajoute-t-il. Le cinéaste ultra-sympa du Péril jeune, d’Un air de famille, de Chacun cherche son chat avait juste envie de plus de spontanéité après sa fable futuriste sophistiquée qu’était Peut-être.
"Je mis le doigt sur un truc que je ne soupçonnais pas… " Comment Cédric Klapisch, réalisateur de L’Auberge espagnole, aurait pu imaginer pareil succès? "Trois millions de spectateurs, ça ne se prévoit pas… " ajoute-t-il. Le cinéaste ultra-sympa du Péril jeune, d’Un air de famille, de Chacun cherche son chat avait juste envie de plus de spontanéité après sa fable futuriste sophistiquée qu’était Peut-être. Bien vu. Il a donc ressorti une vieille idée. Il y a 10 ans, il était allé visiter sa soeur étudiante à Barcelone, en stage Erasmus (Erasmus, programme d’échanges interuniversitaires de la communauté européenne). Dans l’appartement, qu’elle partageait dans la cité catalane, régnait en colocation l’union européenne. Un joyeux bordel. Le film était né. Il a suffi de procéder à un bon casting hors frontière pour dénicher un Allemand (Barnaby Metschurat), une Anglaise (Kelly Reilly), un Italien (Federico D’Anna), une Espagnole (Cristina Brondo), un Danois (Christian Pagh), une Belge (Cécile de France); de dessiner un rôle sur mesure pour l’acteur fétiche de Klapisch, Romain Duris, transformé en sage étudiant en économie, de lui donner une petite amie parisienne (Audrey Tautou, pré-Amélie Poulain) et de tourner avec une caméra haute définition, ce qui allait permettre liberté de mouvement, jeu de split-screen, lumière à la bougie et autres fantaisies. Un joyeux bordel.
Et le résultat donne envie de retourner à Barcelone ou d’avoir 22 ans, ou les deux. Rien d’extraordinaire pourtant. La vie d’étudiants avec les nouvelles blondes, les nouveaux chums, les ex, les beuveries et les examens, il n’y a pas de quoi s’exciter. Mais le mot-clé de Klapisch, c’est "énergie". À 41 ans, de film en film, ce dernier réussit à décrire l’énergie de quelqu’un qui va devenir adulte, de saisir cette période de transition. Il ne le fait pas toujours en finesse. L’avion qui décolle, on a vu plus subtil. Un Britannique imbuvable qui rassemble à lui seul toutes les caricatures européennes, une mère granole, un couple BCBG coincé et quelques technocrates au ministère des Finances pourraient laisser croire à la caricature facile, autour de ces étudiants qui seraient les seuls à détenir un peu de nuance, d’idéalisme et de curiosité. Exagération? "Je ressemble à un dessinateur dans ce film. J’ai voulu un geste rapide, parce qu’on peut être dans la vérité avec le cliché, avec les traits grossiers. Les personnages sont tout de même représentatifs!" Certes, tout reste crédible. On flotte en équilibre au milieu des langues, des genres, des styles et des soucis, sans que rien ne heurte. "Je voulais parler des choses importantes avec légèreté, assure le réalisateur. Que la violence à l’image soit détournée pour fabriquer un truc comique assez troublant." Un fils qui hurle "ta gueule!" à sa mère n’est pas si drôle, mais dans le mouvement, on en rit. Le propre de la comédie.
Énergie communicatrice que cette tranche de vie post-ado, extrêmement rose par rapport à la déprime chronique que les réalisateurs emploient à travers le monde, pour décrire la jeunesse. "J’essaie de les sauver tous, c’est vrai. C’est un parti pris de départ. Je ne pouvais pas avoir un personnage négatif par rapport à un autre, ça aurait été du racisme. J’ai été plus gentil, par respect." Tous sympas, et pas de politique: après Chacun cherche son chat, qui se passe pendant la campagne de Chirac et dont personne ne parle, cette union libre européenne est a-politique. "C’est un fait. Je peux le déplorer, mais je trouve que cette génération s’en sort bien quand même. Elle se réveille quand il faut, non? Les réactions sont là", explique celui qui prend comme grand frère Romain Goupil, post soixant-huitard acharné, spécialisé dans le film d’amitié nostalgique. Une autre génération, cependant.
"Bon, je crois que ce serait malsain que je continue de faire ça encore longtemps, il faudrait que je commence à parler d’autre chose. De l’enfance, peut-être… Je ne sais pas". Dans L’Auberge espagnole, l’âge du réalisateur n’est pas encore un handicap. Ni nostalgique, ni condescendant, Klapisch regarde encore le monde dans les yeux de plus en plus brillants de Romain Duris. Il a encore la fougue qui part dans tous les sens. Et pour ça, on aime No woman no cry chanté aux petites heures du matin, ponctué par le jet vomitif du Britannique imbuvable; on aime ce qui ne se voit pas, l’Italien rêveur qui traverse le cadre en dansant… Conséquence rare du succès d’un film: le programme Erasmus a doublé ses effectifs depuis l’année dernière. "J’ai fait un film militant! ". Tous sourires.
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