Frances McDormand : Festival Images du Nouveau Monde
Dans Laurel Canyon, de LISA CHOLODENKO, FRANCES MCDORMAND interprète une productrice de rock aux moeurs libérées, dont le fils, étudiant en médecine, ne partage pas – c’est le moins qu’on puisse dire – les valeurs. Le choc des idées se produira lorsque ce dernier s’installera chez sa mère avec sa petite amie qui, elle, fera preuve de plus d’ouverture d’esprit… Nous avons demandé à cette récipiendaire de l’Oscar de la meilleure actrice pour son rôle dans Fargo de nous parler de sa rencontre avec ce personnage inusité. Sexe, drogue et rock’n’roll!
Apparemment, lorsque vous avez rencontré Lisa Cholodenko, vous étiez habillée comme Jane, votre personnage…
"En fait, je portais mes propres vêtements. Comme pour plusieurs scènes du film d’ailleurs, ce qui était très important pour moi. C’était primordial de me sentir tout à fait confortable. Tu sais à quel point c’est différent de porter une paire de jeans qu’on vient tout juste d’acheter et une autre qu’on a tellement portée que les poches prennent la forme de ton portefeuille. Je voulais aussi projeter une sorte d’assurance dans la sexualité du personnage. Et ça ne ressemblait pas à une gestuelle féminine, mais à quelque chose de typiquement masculin. À traîner avec les gars du groupe, ça me paraissait naturel d’adopter leur lexique corporel, ce qui me donnait l’impression d’être très sexuelle et macho."
Il est d’ailleurs pertinent que votre personnage agisse de cette façon puisqu’elle est une femme dans un milieu dominé par des hommes.
"On devine qu’elle a couché à gauche et à droite. Mais c’était dans sa phase groupie. Un peu comme Marianne Faithful – et les femmes de cette génération qui ont commencé en couchant avec les gars du groupe avant d’être finalement reconnues pour leur propre travail."
Y a-t-il un parallèle entre le monde de la musique et le monde du film en termes de dynamique sexuelle?
"Il existe une tradition d’androgynie dans le rock. C’est en partie ce qui explique la fascination qu’exerce cette musique: elle repousse la frontière des genres. Il y a quelque chose de plus profond et en quelque sorte à cheval entre masculin et féminin en termes de sexualité. Cette musique n’est pas que pour les filles ou que pour les garçons; ça excite tout le monde. Tout est dans le rythme, dans les basses.
Le seul parallèle qu’on puisse dresser est dans le côté bohème de ces deux domaines. Être sur un plateau de tournage pour de courtes périodes de temps qui sont toutefois condensées, et dans un environnement très intense, c’est un peu comme enregistrer un disque. On passe tout ce temps ensemble. En fait, ça me rappelle lorsque Joel et Ethan [Coen] écrivent. Ça n’a rien de continu; parfois, on dirait qu’ils roupillent, mais c’est un procédé évolutif. Il se passe toujours quelque chose. C’est ce qui est intéressant dans ce que Lisa montre de ce monde. Même quand ils sont dans la piscine à faire les cons, ils sont prêts à retourner au travail à n’importe quel instant. En parlant au groupe avec lequel nous travaillions pour ce film, j’ai compris qu’une bonne part du processus d’enregistrement consistait à écouter les chansons dans la voiture, à la maison, à l’extérieur. Juste pour voir comment ça sonne, comment se comporte la musique."
Comme actrice dans un film, il vous est impossible de tout voir, vous devez être sur le plateau et nécessairement faire votre truc sans toutefois savoir comment tout cela s’imbriquera ensemble. Comment faites-vous?
"C’est ce que j’aime dans le tournage de films. Il y a toujours cet élément de spontanéité. Au théâtre, j’aime bien les répétitions et l’exploration qu’elles impliquent. Mais quand je joue devant le public, mon intérêt s’estompe très rapidement. Ce que j’aime dans le cinéma – car je ne suis pas du genre à nécessiter plusieurs prises, pas plus que j’aime reprendre plusieurs fois une même scène -, c’est la rapidité. J’apprends sur le tas. Je ne fais aucune recherche. J’aime écouter et répondre aux autres acteurs dans une scène. J’aime aussi le fait que par pure contrainte technique, un panneau de réflexion pour la lumière ne me permette de voir qu’un oeil de la personne à qui je donne la réplique. J’adore cet aspect du cinéma; c’est génial, tout tourne autour de l’imagination, le but étant de faire semblant."
Vous faut-il beaucoup de temps pour saisir le langage corporel d’un personnage?
"Oui, mais tout est dans les chaussures."
Vous étiez une adolescente rebelle, la musique rock a tenu une place très importante à cette époque dans votre vie. Jane est-il le personnage que vous rêviez d’être?
"Elle est ce que je me pratiquais à devenir. Mais tu sais, Jane fut pour moi un très beau voyage, de belles vacances, mais je ne voudrais jamais de sa vie. Je ne pourrais pas, je n’ai pas les outils nécessaires."
Jane pose quelques gestes qu’on pourrait qualifier de moralement discutables dans ce film, comme par exemple lorsqu’elle participe à l’entreprise de séduction de sa future belle-fille. Cela vous dérangeait-il?
"Je n’ai posé aucun jugement moral sur ce personnage. À mon avis, ce film n’a rien à voir avec ça, c’est plutôt de l’observation du comportement, de ce que font les gens. Par exemple, on n’y traite pas d’une homo, bi ou hétérosexualité, c’est un regard sur la sexualité, point.
Et quand on y pense, il y a une certaine innocence dans cette sexualité. Elle n’est pas abusive ni malicieuse, il n’y a pas de desseins de manipulation non plus. Quelque chose doit se briser et c’est par le sexe qu’on y parvient.
À mon avis, Laurel Canyon se penche sur la question de la trahison. Comment elle se définit d’une personne à l’autre. Je ne crois pas que la trahison sexuelle soit la pire de toutes dans un couple. Le manque d’affection et d’empathie pourrait être pire. Mais la trahison trouve une définition différente dans chaque couple et on ne peut établir des règles qui la régissent. À la seconde où vous le faites, c’est comme mettre ses photos de mariage dans un magazine comme In Style – c’est fini, vous êtes divorcés."
Et le film permet aux personnages de se planter pour ensuite reprendre leurs vies. Assez rare pour un film américain…
"Rien n’est résolu, en effet. Il n’y a pas de "j’ai appris ceci ou cela". Vous ne pouvez pas rendre de jugement moral. C’est une histoire pour adultes."
À l’affiche au festival Images du Nouveau Monde le 3 avril à 21 h 30 et le 5 avril à 17 h dans la salle 8 du Cinéplex Odéon Place Charest. Images du Nouveau Monde se déroule du 2 au 6 avril.
Texte traduit de l’anglais par David Desjardins.
Renseignements supplémentaires
Fictions, documentaires, films d’animation: le festival de cinéma des Amériques Images du Nouveau Monde propose cette année une programmation qui a du chien. Regards critiques sur la société et la politique, fictions pulpeuses et bouquets de rage, les cinéphiles auront droit cette année à du cinéma de haut calibre et à des exercices de style de haute voltige. À vos programmes.
LAUREL CANYON
Un étudiant en médecine (Christian Bale, American Psycho) et sa petite amie (Kate Beckinsale, Pearl Harbor) s’envolent vers la Californie; lui pour y entreprendre sa résidence et elle pour y rédiger une thèse. Tout est arrangé. Le jeune couple, bien sous tous rapports, habitera chez la mère du futur médecin (Frances McDormand, Fargo), une célèbre productrice de rock’n’roll, qui n’est jamais là. Du moins, en théorie. Parce qu’en pratique, elle reprendra possession des lieux, avec tous les partys et la déjante que cela suppose. Son fils, gêné par sa présence, voudra déménager – il faut dire qu’il se rapprocherait ainsi d’une collègue pour qui il a le béguin (Natasha McElhone, Solaris) -, mais sa copine, elle, se laissera fasciner par cet univers inconnu et, plus particulièrement, par cette femme phénoménale et son jeune amant (Alessandro Nivo)…
Laurel Canyon propose une confrontation générationnelle plutôt atypique, d’où son intérêt. Mais malgré son originalité, son audace, le scénario, qui aurait pu mener loin dans la marginalité, demeure somme toute assez prudent. Le désir, la curiosité qui se trouvent au centre du récit n’y sont jamais complètement satisfaits. On le regrette parfois, mais on le comprend par ailleurs – puisque s’y opère davantage un apprivoisement, un rapprochement dans l’opposition des valeurs, qu’une rupture -, et on sait gré à Lisa Cholodenko (High Art) de nous laisser malgré cela sur une idée plutôt que sur une résolution évidente de l’intrigue. On ressent par ailleurs bien le trouble de la situation, sa délicatesse, mais surtout son charme, sa séduction. Enfin, s’il demeure classique, le traitement n’en garde pas moins un ton vif et entraînant tandis que l’ensemble revêt la fraîcheur de l’intérêt naissant. (J.Ouellet)
ALL THE REAL GIRLS
Que se passe-t-il lorsqu’un vil séducteur (Paul Schneider) tombe amoureux pour la première fois de la vierge jeune soeur (Zooey Deschanel) de son meilleur ami? Dans All the Real Girls, la question devient prétexte à une étude sur l’amour dans ce qu’il a de complexe et de contradictoire. Ainsi le film offre-t-il un habile dosage entre magie et désenchantement, pureté et trahison. Ce qui fait que, malgré une certaine candeur, il nie toute mièvrerie. Dans une atmosphère enveloppante, veloutée, sur le ton de la confidence et suivant un rythme intime, David Gordon Green (George Washington) nous livre ici une oeuvre toute personnelle où, à travers une intrigue épurée et une réflexion qu’il laisse ouverte, il explore les profondeurs de l’intériorité. L’ensemble apparaît par ailleurs bien servi par l’authenticité des personnages et la conviction des acteurs. S’en dégage une forte impression de proximité tandis que son esthétique recherchée contribue à renforcer son enracinement dans le domaine du sentiment – auquel renvoie notamment le filtre rouge, créant une atmosphère de chambre noire. Ardent. (J.Ouellet)
BARK
Une femme qui soigne des chiens est victime de troubles de la personnalité et adopte l’attitude et le langage de ses protégés. Après qu’une médication inappropriée l’eut privée de tout langage en la confinant à une existence végétative, ses proches l’encouragent peu à peu à sortir de cette torpeur en lui réapprenant… à japper. Traitement humoristique du thème de l’exclusion. Approche humaine intéressante où la maladie mentale est dépeinte comme un moyen temporaire de s’adapter à un réel hostile. Critique légèrement caricaturale mais pertinente de l’institution psychiatrique et de l’administration abusive de médicaments. Réflexion audacieuse sur la notion de "normalité". Personnages attachants. (David Ruel)
THE BEATNICKS
Deux musiciens voués à une oisiveté sans but sont bouleversés par la découverte d’un mystérieux coffre qui leur apporte l’inspiration. Mais ils ne pourront réaliser leur rêve musical qu’après avoir surmonté différentes épreuves que leur amène également ce coffre. En effet, depuis qu’ils l’ont ouverte, cette boîte de Pandore les inspire et les perturbe à la fois. Bien au-delà de la musique, elle déchaîne en eux des aspirations beaucoup plus profondes et apparemment incontournables. Chacun se détourne donc momentanément du projet musical et entreprend une quête initiatique qui l’entraîne ailleurs. Ils ne reviendront à la musique qu’à la toute fin, après avoir suivi le long chemin qui les conduit à eux-mêmes. Personnages attachants, malgré un traitement qui confine par moments au stéréotype. Photographie soignée. (David Ruel)
O INVAZOR
Lorsque deux hommes d’affaires font appel à un tueur à gages pour se débarrasser d’un associé devenu gênant, ils ne se doutent pas que l’exécutant de leurs basses oeuvres, plutôt que de disparaître avec son dû, s’insinuera dans leur vie, mettant ainsi à rude épreuve leur confiance mutuelle. Adaptation d’un roman de Marçal Aquino, O Invasor développe de manière généralement efficace cette prémisse accrocheuse. Et si la bisbille entre les businessmen y semble prévisible, certains ressorts, comme la séduction par le meurtrier de la fille du défunt, y apparaissent pour leur part assez surprenants. N’empêche, on demeure un peu sur sa faim; on aurait pris encore davantage de ce cynisme (notamment, le "spécial" deux pour un de l’assassin) et de cette ironie sociale (lutte de classes, violence) qui confèrent au film son mordant. Le traitement énergique, la photographie nerveuse, rythmés par un rock lourd, une techno et un rap très présents, soutiennent enfin une bonne montée dramatique vers le délire paranoïaque, sur fond d’intrigue plus psychologique que policière. (J.Ouellet)
LOVE LIZA
Au lendemain de l’inexplicable suicide de sa femme, Wilson Joel (Philip Seymour Hoffman) est inconsolable. Pas plus capable de lire la lettre que lui a laissée son épouse que de faire face au pathétique destin qui est le sien, il s’intoxique aux vapeurs d’essence en attendant que la douleur s’estompe. Mais parvient-on à surmonter l’insurmontable?
Première réalisation pour Todd Louiso – mieux connu comme acteur, principalement pour son rôle de disquaire taciturne dans High Fidelity -, Love Liza est une plaie béante. Regard sur le deuil et sur l’incapacité à composer avec celui-ci, le film est agréablement soutenu par une trame musicale qui parvient à alléger une ambiance autrement étouffante. La palme revient bien sûr à Philip Seymour Hoffman – acteur à l’incroyable registre dans la palette du malheur et de ses innombrables demi-teintes – qui y tient son personnage à bout de bras, se révélant à nouveau poignant d’authenticité dans ce rôle à la hauteur de celui qu’il tenait dans Happiness. (David Desjardins)
LES JUSTES
Karina Goma et Stéphane Thibault nous présentent ici de véritables personnages, soit ces retraités qui passent leurs journées au palais de justice, à l’affût de causes intéressantes. Comme d’autres sont amateurs de sport ou de cinéma, ils le sont de procès, et connaissent à fond leur domaine. Agenda à la main, ils planifient soigneusement leur horaire afin de ne rien manquer de ce qui les intéresse. L’un évitera les cas de conduite avec facultés affaiblies, l’autre recherchera les causes d’agression sexuelle. D’une cour à l’autre, les réalisateurs nous font découvrir ces êtres singuliers et les relations qu’ils entretiennent avec les journalistes, les juges et les avocats. Sans émettre de commentaires, mais en posant un regard sans complaisance et parfois inquisiteur sur leur sujet, ils leur laissent toute latitude, pour notre plus grand plaisir. En ressort des déclarations parfois étonnantes et des réflexions sur des sujets aussi sensibles que la peine de mort. Riche idée! (J.Ouellet)
SEEING
Avec des images-chocs (parfois à la limite du supportable), ce documentaire présente et explique à un large public la fonction démocratique de l’image vidéo portable. Construit autour du témoignage d’un activiste qui sillonne le globe pour distribuer des caméras vidéo portables aux populations oppressées, ce film montre par plusieurs exemples que la paix et la justice peuvent trouver dans le sésame technologique un support de premier plan. Partout où les droits et libertés de l’individu sont bafoués (conditions de vie dégradantes de certains hôpitaux psychiatriques, brutalité policière, banditisme, dérives politiques, guerres civiles, crimes contre l’humanité, etc.), les images témoignent. (David Ruel) Dans une salle d’interrogatoire, Toño (Juan Manuel Bernal) évoque la genèse du drame ayant mené à son arrestation, depuis cet après-midi passé avec sa maîtresse (Patricia Llaca) dans la chambre bleue de l’hôtel de son frère. "Ce qui m’intéressait dans le livre, c’était la culpabilité; le fait qu’on y raconte l’histoire d’un personnage qui se sent coupable d’un crime qu’il n’a pas commis; cette manière de réflexion morale où, à mesure qu’il repense à ce qu’il a fait, le héros se découvre des torts. Et le fait que la société le condamne parce que tout l’accuse, explique Walter Doehner. Mais le véritable problème, c’est qu’il y a un homme et deux femmes, et qu’il y aura toujours un laissé-pour-compte. On peut donc également prendre la mort dans le sens plus symbolique de rupture amoureuse."
HABITACION
Avec La Habitación Azul, qui sera présenté en clôture du festival Images du Nouveau Monde, WALTER DOEHNER nous livre une vision personnelle de La Chambre bleue de Simenon. Adaptation.
Dans une salle d’interrogatoire, Toño (Juan Manuel Bernal) évoque la genèse du drame ayant mené à son arrestation, depuis cet après-midi passé avec sa maîtresse (Patricia Llaca) dans la chambre bleue de l’hôtel de son frère. "Ce qui m’intéressait dans le livre, c’était la culpabilité; le fait qu’on y raconte l’histoire d’un personnage qui se sent coupable d’un crime qu’il n’a pas commis; cette manière de réflexion morale où, à mesure qu’il repense à ce qu’il a fait, le héros se découvre des torts. Et le fait que la société le condamne parce que tout l’accuse, explique Walter Doehner. Mais le véritable problème, c’est qu’il y a un homme et deux femmes, et qu’il y aura toujours un laissé-pour-compte. On peut donc également prendre la mort dans le sens plus symbolique de rupture amoureuse."
Ainsi, La Habitación Azul, qui se veut un suspense plus psychologique que policier, met-il en scène l’introspection de Toño, qui "était heureux, rappelle le réalisateur, et se demande ce qui est arrivé". En ressort ce sentiment d’étrangeté, d’incompréhension caractéristique du héros de Simenon.
Personnages à la clé
Fasciné par "ces personnages confrontés à eux-mêmes", Doehner voyait dans le fait qu’ils soient peu nombreux l’opportunité de les approfondir, comblant ainsi certains vides du roman. "Par exemple, la femme dans le livre n’était pas dans le livre, fait-il remarquer, et, pour moi, cette victime était vraiment importante." Elle deviendra donc, sous sa plume, plus vivante, autonome. Il confie d’ailleurs à ce sujet: "Un jour, j’ai lu que quand vous parlez de quelque chose d’aussi important pour chacun que l’amour, vous parlez toujours de vous. Il y a donc beaucoup de mon expérience personnelle dans ces personnages."
C’est d’ailleurs grâce à cette attention portée aux protagonistes qu’il trouvera le moyen de rendre à l’écran la structure éclatée du roman. "Ce qui m’a beaucoup aidé, estime-t-il, c’est que je voyais ce film dans l’optique du personnage qui vous porte et vous fait découvrir avec lui ce qui arrive. Il vit sa vie et, tout à coup, il a à l’analyser. En fait, ce qui m’a permis de résoudre le problème de l’adaptation, c’est la salle d’interrogatoire, où je pouvais aborder les monologues intérieurs de Toño."
Jouer la différence
N’empêche, en changeant la fin de l’histoire, Doehner en modifie la perspective, ce qui fait que les événements n’y ont plus le même écho fataliste ou cynique. "Dans le roman, les amants vont en prison parce que, même s’il ne peut rien prouver, le juge les déclare coupables. C’est le jugement moral de la société qui les condamne. Pour moi, le fait qu’ils se sentent coupables faisait également partie de la conclusion de Simenon. Ce n’est pas exactement comme dans le livre, mais je pense qu’il était important de surprendre les gens."
Enfin, et paradoxalement, il voulait baigner cette intrigue très intime d’une atmosphère "froide". "Je désirais que le film évoque une sensualité d’après l’amour; une sensualité révolue, absente", résume-t-il. Ce qui ne change rien au caractère privé du sujet qui, selon lui, expliquerait le tapage ayant entouré la sortie du film au Mexique: "Ici, on ne parle pas d’amour charnel, de passion; on le vit, mais on n’en parle pas. Et il est toujours difficile d’aborder des questions morales. En fait, on s’intéresse davantage aux sujets sociaux qu’aux sujets personnels", conclut-il. (Josiane Ouellet)
UNPRECEDENT
La guerre fortement contestée que mène actuellement le gouvernement de George W. Bush contre l’Irak est sans doute le meilleur prétexte pour revenir sur son élection pour le moins controversée à la tête de la plus puissante nation du globe. Cette élection, plusieurs accusent toujours l’organisation du président Bush de l’avoir truquée, sinon carrément volée. Une entorse à la démocratie? C’est ce que Unprecedented tend à démontrer.
Documentaire-choc, chapelet de preuves de l’illégitimité du gouvernement Bush, ce film recense les multiples irrégularités qui ont eu cours dans l’État de la Floride en 2000. Souvenons-nous, l’écart entre Bush et Gore y était minime, seulement quelques centaines de voix. Un écart qui allait déterminer qui serait le gagnant de l’élection présidentielle. Mais comment expliquer que certains comtés à forte proportion d’électeurs afro-américains, donc traditionnellement démocrates, se soient tournés vers les républicains? Comment la Cour suprême a-t-elle pu mettre fin à un recomptage manuel tout ce qu’il y a de plus légal? Qui étaient ces gens qui ont empêché le recomptage dans le comté de Dade, de simples citoyens? Comment autant de bulletins de vote ont-ils pu être si cavalièrement éliminés du lot?
En répondant à toutes ces questions, le film met au jour une réelle machination, celle qui a aussi amené les républicains à user d’une loi datant du XIXe siècle pour éliminer non seulement tous les anciens criminels des listes de vote (car les ex-prisonniers votent presque toujours pour les démocrates), mais aussi tous ceux dont le nom et la date de naissance concordaient plus ou moins relativement avec ceux des criminels. Des centaines, voire des milliers de citoyens à qui on a refusé le droit de vote. De quoi vous jeter par terre.
Unprecedented est captivant. On en sort révolté, presque nauséeux, et avec l’intime conviction que le peuple américain a été roulé. Un film essentiel, la preuve qu’il existe une voix discordante dans cette Amérique qui semble pourtant unanime dans sa déroute. (David Desjardins)