Lundi matin : Désobéissance publique
Ainsi, Vincent (Jacques Bidou) décide un lundi matin de ne pas pointer à l’usine. Sans dire un mot, il quitte sa femme, une mégère, et ses deux fils qui se foutent royalement de lui. Il quitte son village sans même dire au revoir à sa mère (Narda Blanchet, la délicieuse joueuse de trombone de La Chasse aux papillons) et file, avec les sous et la bénédiction de son vieux père, en virée à Venise et ailleurs, avec sa boîte d’aquarelle dans sa besace.
Ainsi, Vincent (Jacques Bidou) décide un lundi matin de ne pas pointer à l’usine. Sans dire un mot, il quitte sa femme, une mégère, et ses deux fils qui se foutent royalement de lui. Il quitte son village sans même dire au revoir à sa mère (Narda Blanchet, la délicieuse joueuse de trombone de La Chasse aux papillons) et file, avec les sous et la bénédiction de son vieux père, en virée à Venise et ailleurs, avec sa boîte d’aquarelle dans sa besace.
Suite logique dans sa filmographie de vagabond, le dernier film d’Otar Iosseliani, Lundi matin, est une ode à la balade, aux rêves non réalisés, et aux artistes qui sommeillent. Un film pour se faire sonner les cloches quand on s’enlise dans le trivial et le pratique, et qu’on obéit aux règles. Mais Iosseliani n’a rien d’un idéaliste: Vincent revient de son périple aussi las que quand il était parti. Il revient vers un mariage prison, vers les femmes qui, chez Iosseliani, savent qu’on ne s’évade pas. D’ailleurs, ce diable de Géorgien pousse le cynisme envers ses contemporains encore plus loin que dans La Chasse aux papillons ou Adieu, plancher des vaches: les femmes de Lundi matin sont plus vipères, les gamins plus insolents et isolés, et les copains de beuverie ont l’humour encore plus potache (regarder les bonnes soeurs aux jambes nues, c’est trop candidement fellinien!). Chacun crève dans sa bulle, et de moins en moins de liens réunissent les êtres et les générations.
Or, malgré le cynisme, ce qui distingue Iosseliani de tout autre anar en goguette, c’est la tendresse. Vincent revient morose, certes, mais ce n’est pas tant le voyage qui importe que ceux qu’il retrouve, malgré tout, malgré les défauts. Des gestes ébauchés laissent entendre que ce retour va peut-être adoucir les tensions et les indifférences, et qu’une sorte de happy end va clore le film. De ce voyage, il ne dira rien. Que dire d’un rêve réalisé? Le désir a toujours meilleur goût, tout est partout pareil, et le touriste voit mal. À Venise, Vincent navigue dans un univers où tout est faux, il erre dans une carte postale. Une scène grandiose met l’idée en exergue, quand Iosseliani lui-même se déguise en marquis maestro juste pour la visite. Délirant. Pour trouver l’âme d’un lieu, il faut savoir croiser les autres. Et assis sur un toit avec un copain, Vincent apprend enfin Venise.
Et tout passe dans de minuscules détails, toujours séduisants par leur fraîcheur et leur bouffonnerie. Le monde est vu comme un vaste sketch comique pour faire croire à une vieille filant dans le village en Alfa Romeo avec sa clope au bec; à un vieux pépère qui déboule la côte dans son fauteuil roulant, ou à un échalas qui sort du cimetière fier de son bocal de serpents. L’usine de Vincent est la soeur moderne de celle de ce cher Hulot dans Mon oncle. Et son meilleur pote est une sérieuse madame pipi avec ses rats. Et puis, il y a un caïman lâché dans un jardin, un agriculteur noir et amoureux et un facteur qui aime lire les lettres… Tout ça n’est pas sérieux, mais si sérieusement déraisonnable qu’on en redemande encore. À voir, revoir et méditer.
Voir calendrier
Cinéma exclusivités