Gerry : Prisonniers du désert
Cinéma

Gerry : Prisonniers du désert

Le type a fait comme on lui demandait. Il a grandi dans Hollywood, de My Own Private Idaho à Finding Forrester, en passant par To Die For et Good Will Hunting. Mais tout comme il a eu envie de colorer Psycho, Gus Van Sant vient de montrer qu’il avait encore une voix personnelle dans l’usine à saucisses. Une voix presque dissonante pour un réalisateur aussi connu: Gerry, qu’il a présenté à Toronto (seul festival qui lui ait remis un prix), est un exercice de style. Rien d’hermétique, mais quand même du pur et dur. Assez pour se rappeler que le cinéma n’est pas une entreprise de distraction standardisée. C’est un trip. Un haïku en images et un très beau  film.

Le type a fait comme on lui demandait. Il a grandi dans Hollywood, de My Own Private Idaho à Finding Forrester, en passant par To Die For et Good Will Hunting. Mais tout comme il a eu envie de colorer Psycho, Gus Van Sant vient de montrer qu’il avait encore une voix personnelle dans l’usine à saucisses. Une voix presque dissonante pour un réalisateur aussi connu: Gerry, qu’il a présenté à Toronto (seul festival qui lui ait remis un prix), est un exercice de style. Rien d’hermétique, mais quand même du pur et dur. Assez pour se rappeler que le cinéma n’est pas une entreprise de distraction standardisée. C’est un trip. Un haïku en images et un très beau film.

Minimalisme complet. Deux gars, tous les deux nommés Gerry, sont sur une route en voiture. Ils arrêtent l’auto, sortent et s’enfoncent dans le désert. On ne sait pas ce qu’ils cherchent ni où ils sont. Ils discutent. Puis ils se perdent. Ils marchent sans but. Jusqu’à la fin. Gus Van Sant a dit lui-même qu’il rendait ainsi hommage à Bela Tarr et Tarkovski, des maîtres de l’image capables de filmer une vache ruminant dans un champ en temps réel. Mais ce sens du réel justement, du temps qui s’étire comme de la guimauve jusqu’à rendre évidente la fausseté du montage et de l’ellipse, cela fait ressortir tout ce qu’on ne voit plus au cinéma et tout ce qu’on n’entend plus. Gus Van Sant a confié les images à Harris Savides, et c’est une symphonie magnifique de terre et de ciel, de rouge, d’ocre et de bleu, de blancs jamais purs. C’est de l’art moderne puisé à même Death Valley en Californie et les grands espaces argentins. Des paysages rendus encore plus invraisemblables par une mise en cadre tout à fait maîtrisée. Comme des planches d’Hugo Pratt. Et puis les bruits de la nature prennent de l’ampleur, et la musique d’Arvo Pärt (Japon de Reygadas, Éloge de l’amour de Godard) s’accorde à la partition moderne, celle d’un monde chaotique en vase clos. Les voix enfin, loin de saturer la partition, restent ici à l’arrière-plan et font du film un drôle d’opéra, muet mais bruyant.

Tout est dans la forme, le visuel, les corps; ceux de Casey Affleck et Matt Damon, coscénaristes et acteurs. Deux beaux gars qui vont peu à peu se transformer: Casey craque, se décompose, et Damon perd du poupin pour faire de son visage un masque aussi dur que le paysage de pierres.

Voici un pas de deux expérimental mais jamais ennuyeux, où toutes les pièces du puzzle sont conséquentes et logiques. On reste rivé à l’écran, exténué et excité par ce road movie un rien grandiloquent. Car on nous dit: voici comment l’humain se comporte quand il sent la mort venir. Le champ des possibles vient de diminuer. Que reste-t-il? Le courage d’affronter l’échéance, mais aussi la lâcheté de rejeter la faute sur le dos de l’autre. Ce que font tour à tour les deux Gerry. Et, au degré zéro de l’humanité, le plus fort prend le pas sur le plus faible, les mots n’ont plus de valeur, et les corps parlent. Avant de devenir des ombres.

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