Vues d'Afrique : Sans passeport
Cinéma

Vues d’Afrique : Sans passeport

Pour une francophonie moins institutionnelle, pour une mondialisation plus fraternelle, pour découvrir des cinémas, pour en savoir plus sur d’autres réalités, pour sortir de chez soi: des raisons de fréquenter Vues d’Afrique.

Le narcissisme de nos sociétés grasses se porte bien, mais Vues d’Afrique également. Ce festival est l’un des plus importants à Montréal avec le FFM, le FCMM et le FIFA; il draine un public de plus en plus nombreux et ses ramifications se consolident. À quelques jours de l’ouverture de cette 19e édition des Journées du cinéma africain et créole, le président de Vues d’Afrique, Gérard Le Chêne, déplorait cependant la lenteur des organismes publics à envoyer des liquidités et les difficultés d’accès aux écrans pour les films du Sud, soucis récurrents partagés par d’autres organisations. Cela n’empêche pas Vues d’Afrique de présenter 152 films provenant de 38 pays, de mettre 124 films en compétition, de rendre compte des styles (longs, courts, documentaires), d’ajouter un volet animation de 25 films, de proposer deux lieux de projection: le Cinéma Beaubien et l’ONF, et de rendre visibles la ciné-carte (25 $ pour 5 films) et l’affiche de ce festival.

Paroles de femmes
Voir les films d’ailleurs par souvenir, par curiosité ou par fraternité, qu’importe: c’est un pas de plus vers la connaissance. Et plus on regarde, plus on fait fuir les ombres. Celles qui planent au-dessus des femmes surtout. Héroïnes ou cinéastes, elles sont actrices au quotidien pour l’humanisation de sociétés où elles sont encore tuées, kidnappées, violées et bafouées. Marchandées aussi, dans Poupées d’argile du Tunisien Nouri Bouzid. La meilleure preuve est Rachida. Un premier long métrage pour Yamina Bachir, monteuse des films de son mari, Mohamed Chouikh (à qui le festival rend hommage cette année en présentant trois de ses plus beaux films, L’Arche du désert, La Citadelle et Youcef ou la légende du septième dormant). Le film a été sélectionné à Cannes et a reçu des prix en France, au Maroc et aux États-Unis. Comme il arrive parfois, la force du propos annihile les lourdeurs de la mise en scène. Laissée pour morte par des terroristes, la jeune maîtresse d’école Rachida fuit Alger la blanche avec sa mère pour aller se réfugier dans un village. Mais la peur est tenace et le danger, réel. Le hurlement d’une mère, la rue qui se vide au premier coup de feu, les visages des agresseurs, une jeune fille qui fuit ses kidnappeurs et que l’on couvre de voiles colorés, l’horrible nuit qui suit les noces au village, le retour des enfants à l’école: Yamina Bachir a su ponctuer son film de moments forts, aussi dynamiques que dramatiques. Des moments dont on souhaiterait qu’ils ne soient que liberté dramatique. Or, quand on regarde Guerre sans images, le documentaire de Mohamed Soudani, on se dit que le pire n’est pas fiction. Les larmes et la rage d’une fille sauvée in extremis d’un massacre dans un quartier populaire d’Alger ont la force du réel. Un photographe revient en Algérie avec un livre de photos réalisées entre 1991 et 2000. Voulant retrouver les visages sur ces photos, le réalisateur algérien et le photographe suisse fouillent dans la vase. Douloureux. Un débat suivra la projection de ce film.

Les images pour le dire
Même sujet mais avec deux ans de travail d’archives pour comprendre et tenter de montrer la tragédie algérienne: Algérie(s), de Malek Bensmail, un documentaire nécessaire sur l’Algérie d’aujourd’hui. On parle aussi d’un 26 minutes intitulé La Pédophilie (Joseph Bitamba, Burundi); de Diego l’interdite, un film vidéo de David Constantin de l’île Maurice, qui met en lumière l’archipel des Chagos, stratégiquement important depuis le 11 septembre 2001. On parle également des enfants paumés dans les rues de Dakar (Poussières de villes, de Moussa Touré, Sénégal); de l’adoption dans Jim, la nuit, de Bruno Nuytten; d’exploitation destructrice dans Washington, Bruxelles-Kinshasa, un film belge de Fabian Hannaert; et de la perversité du révisionnisme verbal en Occident et particulièrement au Québec dans Au royaume du politiquement correct, de Seydou Kane. Retenir aussi du Canada Dabla! Excision, d’Erica Pomerance, sur les mutilations génitales féminines (le film sera présenté du 6 au 18 juin au cinéma Parallèle), et Le Journal de sable d’Étienne Deslières, où un groupe de jazzmen montréalais (IKS) vont découvrir la réalité sénégalaise.

Les nouveaux codes
Il y a encore le conte et la fable pour faire passer le message. À preuve, Royal Bonbon, de Charles Najman, prix Jean-Vigo 2002. Une production Canada-France-Haïti où flâne un clochard superbe (Dominique Batraville) qui se prend pour le libérateur d’Haïti; une rêverie étonnante, un rien berceuse et belle. Mais les genres prennent de la place. On découvre le film policier et la comédie musicale. L’année dernière, c’était Carmen; cette année, c’est Nha Fala, un film de Flora Gomes, de Guinée-Bissau. En portugais, avec le paysage du Cap-Vert en décor, on raconte l’histoire d’une superbe fille (Fatou N’Diaye) qui quitte son coin pour aller étudier à Paris et qui promet à sa mère de ne pas chanter car une légende veut que toute femme de la famille qui chantera mourra. Les scènes superflues, le mauvais jeu des acteurs et la guimauve inhérente au genre passent à l’arrière-plan. Parce que l’énergie est là, et l’originalité est évidente: dans l’excellente scène chantée dans le restaurant parisien, avec les deux idiots qui baladent la statue du libérateur durant tout le film à la façon d’Hellzapopin, et surtout dans la liberté de parole qui ne ménage ni les hommes, ni le racisme, ni le rapport à l’exil. Et rien que pour le look des cercueils, il faut voir ce film… Côté polar, l’essai est aussi réussi: Une minute de soleil en moins, troisième long métrage du Français d’origine marocaine Nabil Ayouch (Ali Zaoua), raconte les déboires d’un jeune inspecteur de police pris entre la mort d’un caïd de la drogue et ses liens avec les témoins, une jeune femme et son petit frère. On est dans le film policier psychologique et sérieusement dramatique. Mais si on se fout des rebondissements de l’enquête, il faut reconnaître une mise en images sensuelle et le sulfureux de certaines scènes de lit. Une vision occidentale des choses qui n’a pas dû être au goût de tous les publics marocains.

S’il fallait ajouter un autre genre, on pourrait parler du film de création. Fortement orienté vers le Huit et demi de Fellini, La Boîte magique du Tunisien Ridha Behi fait état d’une panne de création d’un réalisateur en crise, malheureux en art et en amour, et qui se réfugie dans son passé. Pour trouver la clé de la création, il se revoit enfant, entre un père tyrannique et un oncle volage, projectionniste ambulant. Film bancal, la période des souvenirs est plus intéressante, vive et mieux jouée que l’autre. Et l’on pourrait suivre encore longtemps Zorro sur les toits du village…

À Montréal, du 25 avril au 3 mai
À Québec, du 29 avril au 2 mai
À Ottawa/Hull, du 30 avril au 4 mai
INFO-FESTIVAL: (514) 990-3201
www.vuesdafrique.org