Vues d'Afrique : Case départ
Cinéma

Vues d’Afrique : Case départ

Avant de clore cette 19e édition, tour de piste des derniers jours avec du cinéma témoin.

Quand l’accumulation de films devient superposition de témoignages, déborde-t-on du cadre d’un festival de cinéma? Oui et non. La mosaïque humaine est présente, vivante et multiforme; et elle prend parfois le dessus sur les prétentions artistiques. Souvent l’émotion, rarement la vision. Voir le FFM. Avec Vues d’Afrique, les témoignages – en fiction comme en documentaire – sont autant de coups de boutoir utiles pour contrer le racisme et l’indifférence. À chaque film, on apprend, on découvre, on voyage. La pertinence artistique? Parfois là, parfois non. Mais la pertinence sociale est toujours présente. Il reste encore quelques jours pour profiter de Vues d’Afrique, de films que l’on ne reverra pas de sitôt.

Avec Paris selon Moussa, la pertinence est à la fois sociale et artistique, même si l’ensemble fait penser à un tableau naïf. Le tout est quelque peu malhabile en fin de parcours, mais on accroche à cette production rondement menée. Cheick Doukouré, acteur et réalisateur du film (il a coscénarisé Black Mic-Mac), a gagné le prix de la meilleure interprétation masculine pour ce rôle au principal festival panafricain, le FESPACO. Moussa est un Guinéen jovial et sage, sérieux et heureux, vivant comme un pacha dans son village, entouré de son harem. La pompe russe de la coopérative pète, et Moussa est envoyé à Paris pour en acheter une nouvelle. Les ennuis commencent. Comme il le remarquera à la fin, il est difficile d’entrer dans ce pays, difficile d’y vivre, et aussi difficile d’en sortir. Moussa fait le parcours du combattant, et avec lui, on a droit à un survol: exploitation raciale, crise des sans-papiers, hargne des flics, mesquinerie du racisme aveugle et quelques autres absurdités de passage. On a aussi droit à "France, terre d’accueil pour tous les dictateurs richissimes et déjantés" en une scène un peu dingue. On tempère le portrait en ajoutant quelques bonnes âmes, des laissés pour compte, bien sûr: une femme mal aimée et une drag queen brésilienne qui ne chante pas très bien. On s’en sort avec un tableau volontairement irréel et chargé. Mais sous le ton léger de ses aventures (qui n’arrive jamais à être comique), Doukouré dresse un portrait sévère de la France, corruptrice et infantile, qui abîme ceux qui passent comme ceux qui restent. Tout cela est bien caricatural et se décortique en vignettes mal liées, mais pas de temps morts dans la cavalcade, et Moussa est fort charismatique.

Témoignages
Les documentaires, surtout les premières oeuvres, ont une grâce étrange, un mélange d’honnêteté candide et de saut dans le vide. Un film réalisé comme s’il était le dernier. Comme si l’auteur nous balançait: "Voici mon histoire, j’ai tout dit là-dedans. Je ne sais pas si je pourrai faire mieux." Cela semble tout à fait le cas pour Idrissou Mora Kpaï, jeune homme du Bénin parti de son village pour aller étudier et voir le monde et qui, revenant 10 ans après à la case départ, décide de filmer la personne qui compte le plus pour lui: son père. Or, le paternel est mort, et le jeune homme se retrouve confronté à une inconnue, sa mère. Dans Si-Gueriki, la Reine-Mère, on découvre à travers les yeux d’un spectateur de sa propre culture – un exilé – le fonctionnement d’une pyramide familiale qui vient de coutumes ancestrales, celles des guerriers wassengaris. En gros, pour apprendre l’autonomie, la tradition oblige à couper rapidement les liens entre mère et enfants; donc, à donner les enfants dès le jeune âge à une autre éducatrice. Une coutume sans tendresse qui a volé en éclats depuis l’école obligatoire et l’émancipation féminine, mais qui a laissé des cicatrices. Le dialogue se renoue avec difficulté, on flotte un peu dans toutes les directions, sans s’appesantir sur une piste ou un personnage, mais certaines scènes ont la force du réel: celles avec les deux mères, la reine mère et la "substitut", deux vieilles dames forcées à la sévérité, heureusement complices, qui déboulonnent avec humour le piédestal sur lequel était posé le père… Déroutant.

Dans Noir comment?, la vidéo est un peu moche et on n’y fait pas trop attention, car ce n’est pas le rendu mais le récit qui importe. Et quelle histoire! Il s’agit de la saga familiale de Marie Binet, assez incroyable pour qu’elle en fasse un roman, puis un film. Blonde, belle, a priori de type nordique: Marie Binet colle à son paysage de Normandie. Mais à la mort de sa mère, et contre l’avis du reste de sa famille, elle découvre des papiers troublants et exhume le passé maternel et secret. En remontant un fil, la bonde Marie Binet se découvre d’origine martiniquaise. Elle a du sang noir. Et le voyage identitaire qui la mène au Morne-Rouge, à la recherche d’une parenté élargie et chaleureuse, lui fait aussi découvrir l’existence d’un demi-frère marseillais bousillé par l’abandon. Effarant, voire drôle: que cette dame plutôt allurée, avec un rien de bouillie bourgeoise dans son élocution, se retrouve cousine d’un grand black et soeur d’un petit Marseillais nerveux, on dirait une autre avenue pour La vie est un long fleuve tranquille… Mais au-delà de l’anecdote, ce film soulève un peu de la vie des hommes qu’on ne raconte pas dans les livres d’Histoire: la honte du métissage.

Reste à voir également Hop, comédie dramatique à la belge, signée Dominique Standaert; et deux stars: Dieudonné dans un délire martiniquais, Zouk, mariage et ouélélé!, de Julius Amédée Laou; et Isaach de Bankolé dans un drame américain, The Killing Zone, signé Joe Brewster.