Présence autochtone 2003 : Persistances
Cinéma

Présence autochtone 2003 : Persistances

Le retour de Présence autochtone chaque année, c’est comme celui de Vues d’Afrique: un moyen de contourner l’information officielle. L’Afrique se réduisant pour beaucoup à des morts et à des coups d’État, et les peuples autochtones, à des Warriors masqués, voilà un rendez-vous pour rencontrer et apprendre.

La persistance de tels événements est un bon signe, autant social qu’artistique. On y parle d’évolution au pluriel: des Inuits aux Maoris, des Micmacs aux Mohawks. Mais même par des moyens différents et variés, les peuples des premières nations scandent l’unité et la force, et livrent des messages similaires. Dans la section cinéma de cette 13e édition, on retrouve tant dans les films de fiction que dans les documentaires des lignes communes à tous les autochtones. Quand le documentaire va dans la rébellion, le combat, la survie et la poésie, la fiction reste le moyen privilégié pour fouiller l’humain, décortiquer le vrai en détail en brodant sur du faux: vivre sa différence dans une réserve quand on est gai dans The Business of Fancy Dancing de Sherman Alexie (scénariste de Smoke Signals, gagnant à Sundance), ou se sortir la réserve de la tête quand on a une bourse pour étudier à Vancouver dans Mocassin Flats de la maison de Production Big Soul. Cette maison de production est aussi à l’origine d’un étrange moyen métrage, Laurel, une dérive en thriller surnaturel d’un problème social. Une prostituée (Jennifer Podemski) ramasse un drôle de client (Richard Hughes), pas de sexe mais des flashs de souvenirs douloureux et une actualité de serial killer: Laurel est chaotique, pas particulièrement bien joué, mais on accroche dès le départ à cette ambiance bousculée, finement montée, à l’angoissante montée dramatique.

Quand l’abstraction rejoint la poésie, le coup de coeur va à Rooster Rock, The Story of Serpent River, un film de 32 minutes de Bonnie Devine et Rebecca Garrett. Sur une voix off qu’on aurait aimée moins monocorde, se déroule l’histoire d’une rivière par des photos, des dessins, des aquarelles et des superpositions; autant d’infos visuelles adossées les unes aux autres, mises en patchwork, mais s’unissant sous le discours informatif qui parle d’une rivière source de vie, devenant décharge polluée par les mines d’uranium du Nord de l’Ontario. Un film qui a la force émotionnelle d’un tableau non figuratif.

Mais il n’y a pas grand-chose de plus dingue et de plus frappant que la réalité. Même celle trafiquée dans le documentaire, même celle orientée par une prise de position. Les images montrées ne sont pas toutes de construction dramatique, et c’est souvent suffisant. C’est pour cela que Nanook of the North de Robert Flaherty reste un grand film, chef-d’oeuvre du muet que l’on peut revoir en cette édition, avec un accompagnement au piano par Gabriel Thibaudeau. C’est pour ça que de revoir un bateau de la garde côtière qui passe à grande vitesse sur une embarcation de pêcheurs au Nouveau-Brunswick, lors du conflit sur la pêche aux homards séparant les Blancs des Indiens, reste ahurissant. L’image avait frappé au téléjournal, mais dans le documentaire de l’ONF La Couronne cherche-t-elle à nous faire la guerre? d’Alanis Obomsawin, c’est l’autre opinion qui prévaut. Et de façon extrêmement tendancieuse. Le film est trop long, les entrevues avec les différents intervenants se chevauchent, il y a une forte tendance à la victimisation où les enfants sont pris à partie; mais reste que l’histoire est folle et complexe, que le Canada n’y a pas un rôle reluisant et que les acteurs de ce drame, aussi articulés et éduqués soient-ils, sont de sacrés survivants. Même sujet, traitement différent pour Ceux qui attendent, d’Herménégilde Chiasson. Attaques frontales également à l’autre bout du pays, même pugnacité de la part des acteurs et même complexité dans l’enjeu (les droits ancestraux contrariés des premières nations) dans Take Back the Land – Spirit Lake, de Nitanis Desjarlais. C’est la guerre ouverte entre les Indiens Secwepemec de Colombie-Britannique, qui revendiquent leur montagne comme territoire inviolable, et la chaîne de ski Sun Peak, aimablement secondée par la GRC. Caméra épaule, time code en prime, images et sons bousculés, mauvaise lumière: nous sommes dans l’action, c’est une vidéo de combat, mais aussi un travail court, précis, vindicatif et intelligent.

Enfin, plus au nord, il y a également nécessité de préservation culturelle, mais les images transmises ne sont pas guerrières. Elles existent presque en silence. Elles montrent. Pour ancrer un passé dans la vie de la réalisatrice Elisapie Isaac qui, de Montréal, cherche à retrouver ses origines au Nunavik, dans Si le temps le permet. Entre le vieux Naalak qui parle de l’échange de regards entre le phoque et lui et Danny, le jeune flic qui vit au rythme du Sud et du moderne, le lien n’est pas évident. Mais il n’est pas cassé. Le film Anaana (Mother) en est un bel exemple, une vision moderne de la vie dans le Nord, signée par le Women’s Video Workshop d’Igloolik. C’est l’histoire de Vivi Kunuk, fille d’un agent de la GRC qui l’a abandonnée, élevée comme un garçon par la famille de sa mère, devenue aujourd’hui une vieille dame indigne et marrante, mariée à Enuki et mère de 11 enfants, dont le cinéaste Zacharias Kunuk, auteur d’Atanarjuat. C’est l’histoire d’une femme assez forte pour passer avec philosophie de l’autarcie autosuffisante des nomades à la sédentarisation forcée par les Blancs, celle de ses petits-enfants aux cheveux teints qui l’écoutent avec admiration, et celle d’un sens solide de la famille et de l’amour d’un territoire. Un film heureux. Info: www.nativelynx.qc.ca ou (514) 998-VUES.

Du 10 au 22 juin
Au Cinéma ONF
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