Le Virtuose : L'éducation instrumentale
Cinéma

Le Virtuose : L’éducation instrumentale

Les musiciens vous le diront, le violon demeure sans conteste l’instrument de musique le plus près de la voix humaine. Ces frottements contre les cordes provoquent des pincements au coeur chez n’importe qui. Exactement comme Le Virtuose, le dernier film de CHEN KAIGE.

Rencontré en entrevue, Chen Kaige (Adieu ma concubine) nous apprend que lui-même a étudié le violon pendant trois ans et que la musique classique faisait partie intégrante de la maisonnée avant la révolution culturelle en Chine. "Mes parents m’ont appris l’importance de cette musique, et nous avions une petite collection de disques. Mais ils les ont pris et brûlés durant la révolution. Ils pouvaient briser les microsillons mais ils ne pouvaient tuer la musique dans ma tête."

Famille et musique occidentale, voilà le point de départ du film, maintenant que c’est permis d’en jouer. Liu Cheng (Liu Peiqi) ne peut qu’être fier de son fils unique Xiao Chun (Tang Yun), un virtuose de 13 ans. Sauf que, dans son village, l’avenir d’un violoniste se résume à jouer durant l’accouchement de la femme du patron. Insatisfaits de ce cul-de-sac, ils partent donc avec l’intégralité de leurs économies pour la grande ville de Pékin, espérant dénicher un professeur. Exposition des tribulations de deux paysans loin d’être au bout de leurs peines, un duo pétillant, nuancé et extrêmement attachant. Le père, entièrement dévoué au succès de son fils, nous éblouit dans son humanité, lui si insouciant des coutumes citadines. Un étonnant acteur que ce Tang Yun, très connu dans son pays. Kaige déclare: "J’ai trouvé le père en premier parce que c’est un professionnel, mais c’est le fils qui fut le plus difficile à débusquer. Nous avons fait les conservatoires et, dans sa compétition de violon, il était cinquième tout comme dans mon film." Le réalisateur ne voulait pas d’un acteur apprenant le violon mais bien l’inverse, plus aisé selon lui, et on constate qu’il a eu la main heureuse.

Le but de Kaige était de montrer comment on joue la musique selon les sentiments du coeur et non en pensant à la fortune et la gloire. Il utilise les deux professeurs de Xiao Chun – Jiang (Wang Zhiwen), le solitaire bourru, et Yu (interprété par Kaige lui-même), l’illustre éducateur haut de gamme – comme des parallèles de la société chinoise actuelle. Il y a glissement inexorable des vieilles traditions vers le gain rapide et facile. "Nous allons bien économiquement, mais nous perdons en chemin quelque chose qui a de la valeur, sans l’amour et le bonheur véritables. On ne peut dire que nous sommes des gens riches." Même les intérieurs des profs reflètent cet état des choses: l’un est chaleureux, convivial et plein de félins et l’autre, sans couleur, moderne et à l’occidentale. Pourtant, comme l’élève doué, on retiendra de ces deux hommes une leçon philosophique plutôt que de la technique pure.

Il y a un vrai plaisir sans prétention dans le sobre travail de réalisation de Kaige, et le ton, suffisamment léger, est ponctué de moments humoristiques, instigués par ce père incroyable. Fous rires assurés que de le voir se faufiler pendant une livraison dans une salle de concert, attiré par le son du soliste inconnu et, debout dans l’allée, l’encourager avec véhémence dans sa tenue de travail jaune vif. Pas facile aussi de portraiturer tout en le rendant consistant le personnage de Xiao Chun, cet adolescent taciturne, subjugué par Lili (Chen Hong), l’adepte du centre commercial. Et plus on avance dans l’oeuvre, plus on constate que les thèmes sont universels; pas besoin de connaître plus qu’il n’en faut la vie en Chine pour apprécier. Kaige ajoute: "Je veux prouver avec ce film-ci que les Chinois sont similaires aux autres peuples et cultures et que ce n’est pas une allégorie politique comme auparavant. Je veux juste toucher le coeur des gens." Le choix même des pièces, le Concerto pour violon de Tchaïkovski et la Fantaisie écossaise de Bruch, reflètent l’envie de Kaige d’instaurer un dialogue musical entre le père et le fils. Question de ne pas perdre le fil intergénérationnel, question de garder à fleur de peau ces sentiments nobles. Et rien de mieux que la musique pour rassembler les gens dans ce récit simple mais pétri de bonne volonté. Interrogé sur un retour possible en Amérique après le décevant Feu de glace, le réalisateur avoue caresser des projets personnels en terre chinoise pour les prochains 5 à 10 ans. Comme quoi jouer les seconds violons à l’étranger ne correspond pas aux mélodies qu’il nous prépare.

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