Sweet Sixteen : Mean Streets
Film noir pour triste modernité, scénario rebondissant pour héros malmené, et découverte d’un acteur exceptionnel. Excellent cru que ce dernier KEN LOACH.
Rêve, intelligence et business. Dès la première scène, on sait de quoi Liam est fait. Liam (Martin Compston) a 15 ans, il habite Glasgow, en Écosse. Et il fait payer la permission de regarder dans son télescope. Payer l’envie de voir plus loin, l’image est prise au pied de la lettre… La philosophie des films de Ken Loach varie peu, le réalisateur britannique (Kes, My Name is Joe, Bread and Roses) reste, film après film, du côté des laissés-pour-compte et des oubliés. Or, si le discours propagandiste du militant est encombrant au cinéma – et Loach s’y est souvent embourbé -, il sait aussi le façonner pour faire naître des récits humains où se mêlent l’honnêteté du documentaire (désir d’ancrer la réalité sociale) et le détail de la fiction (meilleur moyen de comprendre l’humain). Il signe avec Sweet Sixteen le film de l’équilibre, un de ses meilleurs.
Voilà un titre ironique pour un film doux-amer, qui vacille entre idéalisme et fatalité. Le réel dont parle Loach est fatal. C’est un destin tracé, sans échappatoires, mais suivant une accumulation de malheurs. Heureusement, cette descente programmée ne va pas sans surprises, et ce film mérite pleinement ses nombreux prix, dont celui du scénario remis à Cannes l’année dernière. Le scénariste Paul Laverty avait aussi signé les scripts de Carla’s Song, My Name is Joe et Bread and Roses. Dans cette histoire classique, un film noir où le héros ne peut se décoller de sa poisse, les étapes de la dégringolade passent par l’humour, la drôlerie, le drame, le mélo, la tragédie, la violence, la tension, le suspens: autant de petits films en soi, de tonalités qui rendent le chaotique de la vie autour d’un héros qui, malgré ses pires coups, a d’emblée notre sympathie.
La plus belle surprise de ce film, c’est lui, Martin Compston. Ce garçon n’a jamais joué, il est footballeur. Il a cette gueule enfantine capable de devenir méchamment figée, capable de passer de l’enfant à l’adulte, transformation instantanée qui a fait la renommée de McGregor depuis Shallow Grave. Compston est fantastique. Il donne à Liam une vivacité dans l’action (avant la réflexion, malheureusement pour lui) et un don pour la survie qu’on aime chez le Doinel des 400 Coups, et la hargne tenace du jeune Harvey Keitel dans Mean Streets.
Cette boule d’énergie attend son seizième anniversaire, qu’il veut fêter avec sa mère (Michelle Coulter). Car ce jour-là, elle sera sortie de prison. Et là, la vie va redémarrer pour de bon. Liam veut acheter une caravane, vivre heureux avec sa mère, sa soeur (AnnMarie Fulton) et le fils de celle-ci. Mais pour acheter la caravane sur le bord du lac, il faut avoir du fric, rapidement. Le trafic de cigarettes laisse place au trafic de drogue; et Liam pige dans la réserve du "beau-père" (Gary Mc Cormack) et se lance en affaires. Et c’est comme ça qu’on se fait remarquer par le roi de la mafia locale.
Dès le début, on sait que regarder plus loin n’est pas donné à tous, que le plan est bousillé d’emblée par le cercle vicieux de la misère, sorte de malédiction sociale et grille politique immuable chez Loach. Il n’y a pas d’issue. Mais le drame vient du fait que Liam tient mordicus à son envie de famille "normale". Sa tendresse est totale envers sa soeur, le bébé, sa mère et son meilleur copain Pinball (William Ruane). Mais il n’a rien en retour: la soeur est une Cassandre, la mère est faible et le meilleur copain n’a pas grand-chose dans la tête. Seul contre tous, il y va quand même; ce type est un héros de western. Voilà pourquoi on le suit, pourquoi on aime ses rebuffades, sa bravade, son impatience et sa rébellion. On ne peut pas éviter de faire confiance à son intelligence et sa débrouillardise; on embarque dans sa fougue. À cause de cela, on arrive épuisé en fin de course. Comme lui. La dernière scène joue aussi de sous-entendus: "My battery is running out", dit-il à sa soeur au cellulaire avant de lancer un regard à la caméra, résigné (sur une plage toujours, des 400 Coups à La Dolce Vita). Fallait pas rêver. Ken Loach, c’est l’anti-pensée magique.
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