Respiro : Éloge de la différence
Deuxième film de l’Italien Emanuele Crialese (Once We Were Strangers, tourné en anglais à New York), Respiro repose sur une vieille légende inspirée d’un fait divers qui prit place à Lampedusa, petite île au sud de la Sicile. Jadis, une jeune mère aimante suscita, par son attitude anticonformiste, la haine des villageois, qui, la jugeant folle, souhaitaient la faire soigner. La jeune femme ayant disparu sans laisser de traces, on crût à son suicide. Mais on pria tant et si bien qu’elle revînt dans l’île où l’on accepta enfin sa différence.
Sans atteindre la gravité de Marguerite Duras, Crialese propose les éléments d’un récit qui aurait certes plu à la romancière: une famille dysfonctionnelle mais aimante; Grazia (Valeria Golino), la mère trop belle et trop sensuelle que l’on pointe du doigt et qui fait honte aux siens; le père, trop souvent absent et dépassé; la relation fusionnelle entre la mère et le fils aîné, chef d’une bande de voyous; le fils cadet qui se forge une personnalité en calquant le comportement machiste de son entourage; enfin, la fille adolescente, bafouée par ses frères, émule et rivale de sa mère, qui s’éveille à la sexualité et trouve l’amour dans les bras d’un étranger, ici, un gendarme de l’Italie continentale.
Le drame de cette femme en rupture avec les siens n’est pas sans rappeler Stromboli de Rossellini et A Woman Under the Influence de Cassavetes. On pense aussi à Elle, l’héroïne provocante de L’été meurtrier de Becker, et à la Maléna de Tornatore. Mais au drame psychologique cruel et intense, Crialese préfère la fable légère et ludique. Malgré ses allures paradisiaques, Lampedusa offre une vie rude et monotone à ses habitants: les hommes pêchent, les femmes apprêtent le poisson et les enfants se bagarrent. Plus gamine que femme fatale, Grazia refuse tous les rôles que la communauté insulaire conservatrice veut lui imposer. Avec insouciance, elle revendique par de simples gestes, comme se baigner nue ou libérer tous les chiens que l’on s’apprête à tuer, sa liberté et sa différence. Avec la complicité du fils aîné, elle évitera d’être envoyée dans un asile de Milan.
Au-delà de la légende de Lampedusa, le réalisateur-scénariste se plaît à explorer cette île inconnue et intemporelle, semblable à la Grèce avec ses rochers escarpés brûlés par le soleil et sa mer d’un bleu pénétrant. Pour ajouter au pittoresque de l’ensemble, Lampedusa a choisi des acteurs non professionnels pour la plupart et qui maîtrisent le dialecte sicilien parlé à Lampedusa; dans le rôle du fils cadet, le jeune Filippo Pucillo s’impose par sa verve et son naturel désarmant, alors que Valeria Golino fait montre d’une belle sincérité. Baigné par la lumière méditerranéenne, blanche et presque aveuglante, Respiro épouse le rythme de vie de sa protagoniste, tantôt alerte, comme lorsqu’elle escalade les rochers en talons hauts, tantôt langoureux, telles ces scènes où Grazia se coupe du monde en se réfugiant dans la mer, qui deviendra le lieu des retrouvailles et des réconciliations. Charmant comme une brise d’été.
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