Hulk : Bédé-boom
Cinéma

Hulk : Bédé-boom

De l’univers de Jane Austen (Raison et sentiments) jusqu’aux romans de chevalerie de la Chine ancienne (Tigre et Dragon), en passant par l’Amérique bourgeoise du Watergate (Tempête de glace), Ang Lee, réalisateur taiwanais résidant aux États-Unis depuis 1978, se réinvente à chaque film sans jamais rien perdre de sa finesse. Cinéaste caméléon s’il en est un, quel étonnement tout de même de le savoir s’intéresser au sort de l’un des moins raffinés super-héros de Marvel Comics: l’incroyable Hulk!

Croisement entre Frankenstein et Dr. Jeckyll and Mr. Hyde, Hulk (littéralement "mastodonte") a été créé en 1962 par les bédéistes Stan Lee et Jack Kirby avant de faire l’objet d’une série télé de 1978 à 1982. Les nostalgiques remarqueront la brève apparition de Lou Ferrigno, l’interprète du géant vert; toutefois, ils devront laisser leurs souvenirs au vestiaire pour apprécier Hulk, qui se veut d’abord une adaptation de la bande dessinée. D’ailleurs, impossible de l’oublier, puisque le réalisateur n’a pas lésiné – au risque de provoquer l’agacement – sur les effets visuels rappelant les procédés narratifs de la bédé en cadrant le regard des antagonistes et en divisant l’écran en plusieurs cases. N’y manquent que les "bang!" et les "vlam!" comme dans la vieille série Batman… Aussi, pour respecter davantage l’aspect et les aptitudes du personnage original, la bête humaine de 15 pieds de hauteur est "incarnée" par une créature de synthèse.

Afin de justifier la dualité du scientifique Bruce Banner (convaincant Eric Bana), les scénaristes l’ont doté d’un passé profondément enfoui dans l’inconscient et qui se manifeste sous la forme de cauchemars. Grâce à un brillant montage elliptique, Lee remonte jusqu’aux origines du drame familial: en 1966, à la suite d’expériences scientifiques sur le système immunitaire, David Banner transmet involontairement ses gênes génétiquement modifiés à son fils Bruce. Parvenu à l’âge adulte, Bruce survit miraculeusement à une surdose de rayons gamma, ce qui réveillera le monstre qui sommeille en lui. Sortira également de l’ombre David (Nick Nolte, très allumé), que son fils croyait mort depuis 30 ans. La relation père-fils, joliment exploitée par Lee dans Garçon d’honneur, se révèlera plutôt musclée avant de culminer en une confrontation des plus spectaculaires lorsque Banner et fils déploieront leurs "talents" respectifs. Luke Skywalker et son père peuvent bien aller se rhabiller!

Sans égaler l’intelligence de Tempête de glace, les dialogues, livrés avec conviction et grand sérieux par chaque interprète, dont la touchante Jennifer Connelly en belle scientifique de service, sont nettement plus profonds que ceux que l’on s’échange généralement chez les super-héros. Une fois Hulk lâché dans la nature, après une transformation réussie à défaut d’être remarquable, le réalisateur surprend encore en illustrant avec lyrisme la solitude et la détresse du colosse, qui bondit dans le désert d’un rocher à l’autre avec la grâce aérienne des guerriers de Tigre et Dragon. Dosant savamment action et psychologie, Ang Lee renvoie au plancher Batman, Spider-Man et compagnie, mais bien qu’il ennoblisse le genre, il provoquera sans doute plus d’indifférence que d’admiration.

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