Fantasia : Le retour des morts vivants
Absents en 2002, on les croyait enterrés, mais ils reviennent nous hanter. Les folies, cauchemars et découvertes de Fantasia sont de retour en grande force. Aperçus des ténèbres…
Passage à vide, remaniement, et puis le Cinéma Impérial qui n’en finit plus de se faire une beauté : on pouvait aussi craindre de ne pas avoir un Fantasia 2003. Ça aurait été dommage, on aurait raté plein de Takashi Miike… Cette année, le festival se tient donc du 17 juillet au 10 août, et les aficionados peuvent se précipiter aux guichets du réseau Admission pour avoir des places au Pavillon Hall de l’université Concordia (720 places et un écran plus grand que celui de l’Impérial).
Pour voir quoi? Du Takashi Miike, donc, à qui Fantasia rend hommage. Le Japonais qui tourne plus vite que son ombre, talentueux dérangé qui nous fait sursauter dans tous les sens avec Dead or Alive, Happiness of the Katakuris et bien sûr Visitor Q et Audition, présente cette année quelques premières, dont un truc à glacer les veines rien que par la bande-annonce, Ichi the Killer (film où la peau semble se découper comme du cuir), mais aussi une adaptation d’un classique, Graveyard of Honor, ainsi que The Man in White et Shangri-la, des variations plus ou moins sanguinolentes et comiques sur le genre Yakusa. Projecteurs allumés également sur le travail du studio des frères Shaw, producteurs célèbres du cinéma d’art martiaux. On peut voir ou revoir des classiques mythiques, tous de genres différents: 36th Chamber of Shaolin (1978), Come Drink With Me (1966), Intimate Confessions of a Chinese Courtesan (1972) et One-Armed Swordsman (1967).
Sinon, outre les Zombies, Godzilla, Goldorak et autre Santo versus The Martians de rigueur, qui font toujours bonne figure au palmarès du fou rire, Fantasia met à l’honneur quelques films français versés dans le genre. Horreur, fantastique et gore ne font pourtant pas partie de la French Touch, mais certains s’y penchent avec dextérité. Certaines, surtout : souvenez-vous de Claire Denis et de son Trouble Every Day. L’épouvantail cannibale avait les traits de Vincent Gallo et de Béatrice Dalle. Dans la même veine et sans jeu de mots, Dans ma peau est un drame fascinant, un film fétichiste douloureux. Marina de Van, coscénariste de Sous le sable et de Huit Femmes de Ozon, est réalisatrice, mais aussi excellente actrice de ce film aux côtés de Laurent Lucas, toujours aussi solide. Banalité de la vie bouleversée par un accident où Esther se blesse salement à la jambe; puis découverte du plaisir de la blessure, et obsession incontrôlable de la voir toujours béante, de fouiller dans la peau. On appelle sans faute Buñuel, Polanski et Cronenberg à la rescousse. Le sang coule ici librement, mais la mise en scène qui va peser en silence sur le carnage physique et la déroute psychologique de cette dame fait le film. Paniquant. Le meilleur film de la programmation française de Fantasia. Il y a un court métrage de 7 min sur un drôle de Noël, Bloody Christmas de Michel Leray, et un autre Noël qui tourne mal, celui de Dead End, film français construit aux États-Unis par Jean-Baptiste Andréa et Fabrice Canepa. Ici, le cauchemar classique commence par le voyage d’une famille typique partie réveillonner. Mais la route ne mène nulle par et dès que l’auto s’arrête, c’est la mort. Le type de film où il ne faut jamais regarder par la fenêtre ou dans le rétroviseur. Mais un peu longuet et finale Twilight Zone. On préfère encore Maléfique, film sur l’occulte d’Éric Valette, où quatre hommes en prison vont vouloir s’échapper par le biais d’un livre de magie noire. Échapper à quoi, ce n’est pas évident. Si le film s’étire aussi un peu en longueur, Maléfique est sauvé par l’écriture. Au-delà de l’horreur (la première scène met tout de suite dans l’ambiance), il y a construction de personnages, interactions, évolution des caractères; et direction d’acteurs. À suivre.
Le coup de coeur serait ici un direct au coeur. The Backyard, en première canadienne, est un documentaire fascinant. Mais on ne sait pas très bien encore s’il faut en rire ou en pleurer. Exactement comme la lutte. Paul Hough, fils du réalisateur britannique John Hough, qui a fait dans le genre terreur et compagnie, signe ici un document terrifiant. En gros, pour être lutteur, il faut faire partie de la WWF. Mais tout le monde n’a pas cette chance, alors beaucoup s’entraînent autrement. Des ligues de garage de lutte existent un peu partout dans le monde, y compris ici. Mais le cocktail misère, rêve américain et violence semble frapper très fort du côté des USA. On dirait la réalité du Gummo de Korine; quelque chose que Michael Moore n’aura pas vu. Deux jeunes frères qui se battent avec des battes de base-ball enroulées de fil barbelé, qui se lancent dans le feu, se balancent dans une fosse remplie d’ampoules et de barbelé sous les yeux d’une mère fière de cet accomplissement, et de leurs blondes qui filment l’exploit. Des gamins fascinés par la violence comme dépassement de soi, des jeunes adultes qui s’inventent une image (The Lizard, Chaos, Scar, Heartless ou The Retarded Butcher), où le désir de reconnaissance devient plus fort que la douleur… Comme si en 80 minutes on prenait conscience du point de masochisme atteint par une société de surconsommation, qui n’a plus de jouet pour l’exciter, et même pour exister. Un type hilare, qui fait ses courses de trappes à souris et à rats dans un magasin à 1 $ pour varier les plaisirs de la souffrance, c’est marrant. Mieux vaut en pleurer, cependant. À voir absolument.
Bonne cuvée de tourments asiatiques (The Eye, Public Enemy), où l’on remarque que dans la tendance actuelle, on note moins de sang, mais plus de panique. Voici donc des films à regarder avec la main sur les yeux. Sympathy for Mr. Vengeance, du Coréen Chan-Wook Park, déstabilise, au risque de faire basculer plusieurs fois le récit et d’étirer un plaisir sadique. On embarque avec un type aux cheveux verts, sourd et muet qui perd son emploi, mais qui veut quand même trouver un rein pour sa soeur sous dialyse; on parle de sa petite amie (excellente Du-Na Bae, star en son pays), révolutionnaire, qui a l’idée d’enlever la fille d’un richissime; on parle aussi du richissime qui a la vengeance sophistiquée. Les morts et le sang vont en crescendo, comme si l’on en finissait plus d’évacuer le mal de vivre. Dans le chaos parfois lassant de l’oeuvre, on retient des plans splendides, des scènes effrayantes et malgré tout, un rythme presque dolent pour cet enfer.
Pour la vraie panique, The Suicide Club, du Japonais Shion Sono, est un must. Le phénomène du suicide est alarmant au Japon, pays où le jeunisme est aussi une maladie, où le mélange des genres cinématographiques devient un style en soi et où la rébellion contre l’ordre établi, une nécessité. Ce film regroupe ces données que l’on connaît du Japon, et cela donne un film kaléidoscope complètement effarant. Tout le monde va en parler et en parle déjà sur Internet, mais cette première scène fait dans le terrible: on y voit une caméra qui balaye l’heure de pointe d’une station de métro, où une cinquantaine de gamines sortant de l’école en uniforme, rigolent en attendant le train. Le train arrive, elles se tiennent par la main, comptent en cadence et sautent. Dire que le sang gicle est faible… On plonge tout de suite dans une enquête policière qui piétine, dans le monde dingo des enfants-vedettes chantant des niaiseries sirupeuses et celui, paranoïaque, de l’Internet. On croise un serial killer qui se prend pour Frank-N-Furter, on déroule une bobine de peau humaine, on se suicide en choeur et on craint un grand complot. Ça part dans tous les sens, mais dans les pistes empruntées et non élucidées (ce qui ajoute à l’horreur), on découvre la démarche d’un auteur qui s’interroge de façon philosophique et non sociologique sur son pays. Comme s’il n’y avait plus que la fable (voir Battle Royale), et quelques illuminations, pour trouver un sens à ce maelström. À voir. Bon cinéma.
Fantasia
Du 17 juillet au 10 août
www.fantasiafest.com
pour infos: [email protected]