La Grande Séduction : Le parfait hameau
Cinéma

La Grande Séduction : Le parfait hameau

Par sa simplicité et ses personnages aussi rustres qu’attendrissants, La Grande Séduction, du réalisateur des célèbres publicités de Monsieur B, JEAN-FRANÇOIS POULIOT, possède l’attrait irrésistible d’un conte universel et  intemporel.

Il était une fois un petit village côtier où des pêcheurs vivant de l’aide sociale décidèrent de séduire un jeune médecin d’une grande ville et ainsi le forcer à rester définitivement parmi eux afin d’obtenir la construction d’une usine de plastique qui leur redonnerait leur dignité. Les ficelles du récit sont un peu grosses, mais sous cette apparente naïveté se profile un drame social criant d’actualité que Dominic Morissette et Catherine Pappas présentaient sans fard dans le documentaire Les Derniers Chasseurs du petit havre: l’appauvrissement des villages côtiers depuis le moratoire sur la pêche en 1992. "J’ai écrit La Grande Séduction en décembre 2001 et on a tourné en septembre 2002, explique Ken Scott. Durant toute l’année 2002, les journaux parlaient des difficultés des pêcheurs au Canada. Durant le tournage, Benoît Brière a même entendu parler d’un directeur de banque d’un village de la Côte-Nord qui avait été remplacé par un guichet automatique, comme le craint son personnage! Je ne sais pas comment j’ai eu cette intuition…" Étonnant de voir à quel point la réalité rejoint la fiction!

Bien servie par la réalisation souple de Jean-François Pouliot, l’écriture de Ken Scott a gagné en maturité; son récit n’est pas une enfilade de situations comiques comme son scénario de La Vie après l’amour de Gabriel Pelletier. En fait, l’histoire est si bien ficelée qu’on ne se pose pas de questions sur la vraisemblance des combines de Germain (Raymond Bouchard) ni à savoir comment un médecin cynique (David Boutin) peut se laisser aussi facilement berner. Qu’importe puisque Scott sait très bien raconter et que le regard posé sur ses personnages est tendre et teinté d’humour, un regard que le réalisateur a su respecter: "L’humour est une façon de raconter des histoires qui me vient naturellement. Benoît Brière a senti que ce film était pour Jean-François, commente Scott, c’est pour ça que les gens y reconnaissent son humour. Avant le tournage, on s’était dit qu’on ne voulait pas faire de comédie au détriment de l’histoire et de la crédibilité des personnages."

Étonnés qu’on leur demande s’ils craignaient de travailler avec un "gars de pub", Ken Scott et David Boutin ne tarissent pas d’éloges sur la minutie de Pouliot, qui a été assistant à la caméra pour Once Upon a Time in America de Sergio Leone et The Hotel New Hampshire de Tony Richardson: "Il est très attardé aux détails, il crée des images qui sont très belles; dans le long métrage, ce n’est pas toujours comme ça, raconte David Boutin. Il est très ouvert dans sa façon de diriger les acteurs, mais il sait toujours ce qu’il veut. Il crie même "Action!" dans l’esprit de la scène; on trouvait ça drôle au début, mais il nous a expliqué qu’il voulait nous donner l’intention, l’énergie qu’il ressentait. C’était spécial!" Pouliot se fait plus explicite: "Là où il y avait un gros danger pour moi, c’est qu’en publicité l’essentiel et le détail se confondent. Chaque détail est important, car c’est lui qui fait avancer l’histoire. Dans le long métrage, l’erreur est de confondre les deux. J’ai essayé de me discipliner à toujours me demander quel était l’essentiel, qu’est-ce qui faisait que le spectateur me suive d’une scène à l’autre. Ça t’oblige à garder en tête le fil conducteur et le souffle du film." Chez Scott, on ressent la satisfaction, fort justifiée, du travail bien fait: "Depuis que j’ai fait La Grande Séduction avec Jean-François, je ressens moins l’urgence d’écrire un scénario", confie-t-il.

Réalisateur de pub émérite, Jean-François Pouliot ne fait pas mentir ceux qui lui prêtent la réputation d’être un bon conteur d’histoires doublé d’un bon directeur d’acteurs. Délaissant le rythme syncopé propre à la pub, il prend le temps de composer des tableaux vivants qui s’enchaînent avec fluidité. Raymond Bouchard fait montre de tout ce qu’il faut de bonhomie et de coquinerie pour rendre son personnage de magouilleur attachant. En fait, tous les protagonistes s’avèrent charmants malgré leur côté manipulateur, comme le vieux loup de mer incarné par un Pierre Colin en excellente forme, le pathétique directeur de la caisse de Benoît Brière, la ténébreuse postière de Lucie Laurier ainsi que les délicieuses commères campées par Rita Lafontaine et Clémence Desrochers. Dans le rôle du médecin, David Boutin réussit haut la main le passage dans le registre comique. Au premier abord, le casting paraît hétéroclite – l’hurluberlu Bruno Blanchet y croise le grand Gilles Pelletier! -, mais à l’écran, l’ensemble s’avère impeccable tant une réelle chimie existe entre les acteurs, qui ont résidé chez l’habitant à Harrington Harbour pendant le mois qu’a duré le tournage, que Scott qualifie d’extrême.

François Da Silva, directeur de la Quinzaine des réalisateurs, a comparé La Grande Séduction, chaudement accueillie à Cannes, à du Pagnol. Qu’en pense le réalisateur? "Pagnol est mon idole de jeunesse! s’exclame Pouliot, qui apprécie également Scola et Tornatore pour leur façon d’aborder le drame avec humour. Je m’étais donné une direction un peu folle en lisant le scénario: je voulais que ça soit laid comme Fargo et attachant comme Manon des sources. Je n’ai pas pu y arriver à cause de ce village qui est si beau." En effet, avec ses trottoirs de bois, Harrington Harbour, fier village côtier prospère de 280 âmes, est sans doute trop coquet pour "incarner" la morne Sainte-Marie-la-Mauderne; d’autant plus que la photographie d’Allen Smith en illustre joliment le charme pittoresque, notamment dans les images nocturnes bleutées où les volutes de fumée des amants satisfaits flottent au-dessus des chaumières. Mais au-delà de la beauté visuelle transparaissent des émotions toujours captivantes. Un film qui fait grand plaisir à voir.

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