Northfork : Americana
Parce qu’il faut bien renouveler le rêve américain, avec les espoirs intacts mais la candeur abîmée, allons faire un tour du côté des frères POLISH. Voyage sidérant.
Pas facile de caser ce film au milieu du géant vert, des bimbos en maillots et des effets très spéciaux de l’été. Il se pourrait même qu’on ne l’aperçoive pas. Ce n’est pas rien pourtant. Voici le dernier opus de la trilogie des frères Mark et Michael Polish sur leur vision de l’Amérique, après Twin Falls, Idaho et Jackpot. Après ces histoires intimes, c’est l’heure de la saga, de l’ouverture et des grands espaces. Pour décrire Northfork, on pourrait parler d’un patchwork typiquement US mais complètement nouveau où, dans un décor pour une pub de Marlboro, il y aurait des rêves felliniens et du romantisme de Wim Wenders, époque Ailes du désir, des restants de westerns, de la drôlerie des frères Marx, des couleurs de cendres comme chez les Brothers Quay et le réalisme magique d’un García Márquez. On ne peut pas dire qu’on s’y amuse, mais on reste surpris. C’est aussi bien.
Il y a le culot, d’abord. Celui de monter cette fable démente: dans les années 50, une ville, Northfork, au milieu des prairies du Montana, doit être évacuée parce qu’un barrage va l’anéantir. Un groupe d’hommes (dont James Woods, Peter Coyote et Mark Polish) doit chasser des lieux les récalcitrants dont un illuminé qui a construit une arche, un vieil emmerdeur avec son fusil, un couple avec deux Chevrolet et le prêtre (Nick Nolte) qui veille sur un petit garçon malade (Duel Farnes). Ce dernier, dans son délire, va s’évader à sa façon, rencontrant un groupe d’anges déchus (dont l’androgyne Daryl Hannah) dont il se dit frère. Les "videurs" proposeront des ailes d’ange en guise de cadeau de départ.
Réaliser un film pareil avec des noms connus, dans un circuit financier hors Hollywood – donc très maigre -, est une chose; le réussir est presque un exploit. Et Northfork est envoûtant. Mais s’il faut se laisser porter par ce rêve cauchemardesque, il faut aussi rester éveillé pour voir les traces d’une réflexion sur l’Amérique: ville de pionniers qui va être ensevelie, importance de la terre et de l’enracinement mais nécessité de croire qu’ailleurs il y a encore un Eldorado, délire religieux métaphysique et croyances exacerbées; c’est le Go West, young man!. De deux créateurs d’aujourd’hui davantage fascinés par leur patrie que déçus ou admiratifs. On pourrait approcher de ce film celui de Lars Von Trier, Dogville, qui réduit aussi sa vision des USA aux malheurs d’une ville, de ses habitants et de ses habitudes. Dans les deux cas, des lieux doivent se réinventer, des gens doivent bouger pour évoluer.
Images somptueuses, cendrées, grisâtres et bleutées, surprenantes à chaque coupure, qui passent de la beauté d’un décor époustouflant à celle, rêveuse et sans l’ombre d’un trucage, d’un étrange quadrupède en bois qui vient claudiquer devant le petit garçon. C’est grandiose, mais tout ceci serait lourd et ferait peut-être dans l’holistique de bazar s’il n’y avait l’humour dingo pour sauver la mise. Celui de ces inspecteurs en chapeau mou qui se disent bonjour de façon maniaque, d’un confessionnal aux allures de toilettes, d’une maison coupée et d’une église amputée, de ce Noé sonné dans son arche avec ses deux épouses, et d’une vision du monde séparée en propriétaires de Chevrolet et en propriétaires de Ford. De l’Americana du XXIe.
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