Capturing the Friedmans : Vérités de l'obscur: entrevue avec Andrew Jarecki
Cinéma

Capturing the Friedmans : Vérités de l’obscur: entrevue avec Andrew Jarecki

Vous ne connaissez probablement pas encore Andrew Jarecki, mais vous en entendrez parler cette année. Adulé par la critique américaine, son premier long-métrage, Capturing the Friedmans, a remporté le Grand Prix du jury au Festival de Sundance 2003 et devrait faire du bruit aux prochains Oscars.

Basé sur une affaire criminelle ayant défrayé la chronique américaine en 1987, le film-documentaire nous fait plonger dans l’univers d’une famille aisée de la petite ville de Great Neck (État de New York), dont la vie bascule le jour où le père – enseignant dans une école secondaire – et son fils cadet sont arrêtés sous des accusations de crimes pédophiles. "À l’origine, je voulais faire un film sur les clowns animant les anniversaires de New York. Et puis j’ai rencontré David Friedman, considéré comme le meilleur clown de la ville. J’ai découvert le noir passé de sa famille et mon film a pris un nouveau tournant…", explique le réalisateur.

Revenant sur les faits 15 ans après le drame, Capturing the Friedmans s’articule autour d’entretiens avec des membres de la famille qui crient à l’injustice (mis à part la mère, ambiguë), des détectives, avocats, victimes (pseudo-victimes?), le tout entrecoupé de films de famille, véritables joyaux du documentaire: "Je travaillais sur le projet depuis déjà un moment quand David, le fils aîné, m’a dit qu’il possédait des heures de films précédant l’événement tragique, mais aussi lui succédant… J’étais stupéfait!"

Peu après l’arrestation, David s’achète une caméra et filme la désagrégation du noyau familial. Manière de palier la tragédie? Besoin de mémoire ou de distanciation face à l’étrangeté du spectacle? "La police dirait qu’il s’agit de l’ouvre d’une famille de fous. Je ne pense pas que ce soit le cas… Aux prises avec de terribles problèmes, les Friedman sont aussi profondément humains et fragiles, un peu à l’image de toutes les familles… David a commencé à filmer le drame pour garder un souvenir de son père autre que celui du pédophile dont parlaient les journaux. Puis il a continué à filmer… même quand ça tournait au vinaigre."

En nous donnant accès à ce matériel, Andrew Jarecki nous offre une place de premier choix – de voyeurs – quant à l’observation du drame. Encore un de ces reality-shows dont l’Amérique est si friande? Pas tout à fait, car pour une fois, cette intrusion est au service d’une réflexion fine et captivante sur l’aspect trouble de la vérité. "Tout dans cette histoire me fascinait. Il y a tellement de contradictions, de gens convaincus par leur version des faits… Qui croire? Quand je lisais des articles sur l’affaire, je les trouvais erronés… Alors j’ai cherché à mieux comprendre." Ce faisant, Jarecki nous entraîne dans une descente aux enfers où se côtoient dénégation, espoir et sentiment d’incompréhension.

Le mal-être des Friedman est tel qu’on se demande dans quelle mesure ils ont pu accepter -15 ans plus tard – de remettre le drame sur la sellette. Or, "pour Jesse, le fils cadet qui vient d’être libéré, mais aussi pour sa mère et ses frères, l’histoire reste d’actualité. Jesse est toujours considéré comme un dangereux criminel. Il n’a aucune chance de trouver un emploi normal, d’habiter un logement où vivent des enfants. La police sait en permanence où il se trouve… Aussi, sans s’attendre à un film pro-Friedman, la famille voulait que je fasse la lumière sur sa vérité, espérant que ça lui serait bénéfique… Cela m’apparaît tout à fait légitime."

Une chose est sûre, n’allez pas voir Capturing the Friedmans en espérant élucider l’affaire. Là n’est pas le propos et c’est tant mieux. Pour Jarecki, il s’agissait simplement "que les gens comprennent qu’il n’y a jamais une seule version des faits… que la vérité est toujours infiniment plus complexe qu’elle n’en a l’air".