Thom Fidzgerald:The Wild Dogs : Une vie de chien
C’est à l’occasion du tournage d’un film d’horreur pour ados que THOM FIDZGERALD a, pour la première fois, été confronté à la faune diaprée de Bucarest. Ses chiens errants, mais aussi ses gitans, ses orphelins, ses mendiants. De là l’idée de cette fable nous rappelant que nous sommes tous des bêtes. Incursion au royaume des animaux.
Un prolétaire digne de ce nom ne saurait posséder de chien; c’est une lubie bourgeoise, il va sans dire. Résultat: ils sont des milliers à errer dans les rues de Bucarest depuis le régime Ceaucescu. Et ils n’y sont pas seuls, puisque celles-ci fourmillent également de gitans, d’orphelins et de mendiants. Un sujet en or, sur lequel Thom Fidzgerald (The Hanging Garden, 1997, Beefcake, 1999) s’est appuyé pour imaginer son histoire de pornographe un peu las (incarné par lui-même) qui, envoyé en Roumanie afin de photographier des fillettes, se laisse plutôt toucher par le destin d’un jeune esclave (Visinel Burcea), à qui il tente de venir en aide. C’est donc la difficulté "pour une personne de réellement en aider une autre" qui intéresse ici le réalisateur néo-écossais de 34 ans, récemment célébré comme "maître émergent" par le Seattle International Film Festival. "The Wild Dogs est une exploration cinématographique de l’exploitation et de la charité", résume-t-il.
Ainsi y suit-on également une femme de diplomate (Alberta Watson, The Sweet Hereafter) se prenant d’affection pour un orphelin handicapé (Nelu Viorel Dinu), ainsi qu’un chasseur de chiens au coeur tendre (Mihai Calota), incapable de faire son boulot. En fait, de la vaste galerie de personnages s’animant devant nos yeux, plusieurs s’inspirent directement de leur interprète. De sorte que certains de ceux qui jouaient les phénomènes de foire dans Wolf Girl, un film d’horreur pour ados que Fidzgerald a tourné en Roumanie pour une télévision américaine, reviennent ici dans un rôle plus fidèle à ce qu’ils sont. C’est d’ailleurs leur personnalité qui force l’admiration. "Je crois que ce qui m’a le plus impressionné est l’héroïsme des gens avec qui j’ai travaillé, commente le réalisateur; par exemple, Nelu, le petit acteur qui n’a pas de jambes et qui, malgré tout, est un jeune homme heureux et optimiste."
Réalité mordante
Singulier mélange de réalité et de fiction, The Wild Dogs (gagnant des prix du meilleur film canadien et du meilleur réalisateur à l’Atlantic Film Festival) séduit surtout par son aspect documentaire, manière de visite guidée de la ville à travers les déambulations de quelques étrangers et résidants. "Mon approche du cinéma évolue, remarque Fidzgerald. Dans mes premiers films, je voulais tout contrôler: je construisais chaque décor, peinturais chaque mur et créais un monde à partir de zéro. Avec The Wild Dogs, c’était la première fois que je captais quelque chose qui existait. C’était très libérateur. Aussi, je crois que c’est un beau film visuellement, et quelque peu poétique, alors j’étais heureux que la caméra ait pu saisir cela." Si bien que, même si l’intrigue tient du prétexte, l’oeuvre ne nous en convie pas moins à un fascinant périple d’observation et de découvertes.
De même, c’est pour avoir un contact plus direct avec ses acteurs non professionnels que le réalisateur a décidé de jouer dans son film. Afin de pouvoir les encourager à improviser et d’obtenir des regards, des gestes vrais. Il précise d’ailleurs à ce sujet: "J’ai écrit un scénario très ouvert et plusieurs idées viennent des acteurs; je n’ai été qu’un éditeur, en quelque sorte."
Chant de laisse
Par ailleurs, l’artiste livre un regard personnel non seulement sur le plan du propos, avec sa métaphore canine notamment, mais aussi sur celui de la forme, visuellement intéressante malgré un petit budget et un tournage en format numérique. Il faut dire que le décor magistral de la cité y joue pour beaucoup. "Je crois que le drame aurait pu se dérouler à peu près n’importe où dans le monde, juge Fidzgerald, mais ce qui me plaisait avec Bucarest, c’était la façon dont son histoire se fait peinture pour l’oeil. La lutte entre la liberté et l’oppression est dans toutes les rues, sur tous les visages, et c’est ce que je voulais capter." Sans compter que l’usage de la caméra vidéo permet des choses impossibles en 35 mm, comme suivre un chien errant toute une nuit ou improviser avec une centaine d’enfants dans un orphelinat.
Enfin, le film ne serait pas non plus ce qu’il est sans sa musique, signée Sandy Moore. Celle-ci semble effectivement en synergie avec ses aspects visuel et dramatique. C’est dire que le compositeur est parvenu à relever le défi qu’il s’était lancé de supporter et intensifier la vision du réalisateur, avec une trame sonore possédant à la fois la "passion et le mystère gitans", combinés à un caractère "très contemporain". "Une partie de la musique parle du passé glorieux du pays et travaille parfois en opposition par rapport à la misère actuelle", conclut Fidzgerald, conscient du fait que la narration très visuelle de son oeuvre ménage une place de choix à ce mode d’expression.
Attention, chien méchant!