L'Homme du train : Cent regrets
Cinéma

L’Homme du train : Cent regrets

Ça ressemble à un bon coup: mettons ensemble deux stars à l’opposé l’une de l’autre et voyons l’interaction. Ouais! génial! Génial peut-être sur papier, mais pas toujours dans le produit fini.

Patrice Leconte, réalisateur habile et prolifique, prouve qu’il a encore le verbe haut et fin, et surtout l’envie de tourner. Travaillant encore de concert avec Claude Klotz (scénariste de Félix et Lola et du Mari de la coiffeuse), il propose un match nul, un Tandem revisité, une comédie en forme d’absurdité et de rêveries crépusculaires. C’est très simple: un homme descend d’un train dans une ville de province en fin de journée, un cow-boy qui vient faire un mauvais coup, Milan (Johnny Hallyday). Il va à la pharmacie pour acheter de l’aspirine et croise un prof à la retraite, tranquille monsieur Manesquier (Jean Rochefort). En quelques mots, le retraité curieux et verbomoteur invite le Lucky Luke des faubourgs à partager sa grande maison vide. Quelques jours de cohabitation, et leurs vies vont s’illuminer. L’un veut satisfaire sa soif de grands espaces, l’autre aimerait se poser dans des pantoufles. Et cette rencontre se termine sur un grand tralala onirique censé faire le bilan de leurs choix respectifs. Fin de l’exercice.

Leconte a le talent maintes fois démontré pour des dialogues fleuris qui tombent juste dans la bouche de ses acteurs, des mots qui décrivent parfaitement l’émotion du moment, mais qui – si l’on y regarde de plus près – sont souvent des morceaux de poésie en prose, des perles à la Queneau, à la Prévert. Ridicule, Tandem, Monsieur Hire avaient des moments de grande joie quand on aime le beau verbiage. L’Homme du train remonte la pente dans ce sens après la somnolence de La Fille sur le pont, de La Veuve de Saint-Pierre et de l’imbuvable Rue des plaisirs. Et puis, c’est du sur mesure: pour la fantaisie érudite et suave d’un Rochefort, il fallait une partition haute en volutes et en arabesques, et les mots se sont aidés d’une trame de Schubert. Pour le mutisme timide, tendre et bourru d’un Hallyday, il fallait des mots martelés, économiques, à définition unique, qui s’égrènent sur du Ry Cooder. C’est de la dentelle dans les deux cas. Agréable joute au début, mais elle finit par nous accabler. De rigueur théâtrale d’abord, mais de tristesse, surtout. Car le dernier rendez-vous avec la vie de deux dinosaures en voie de disparition se fait sur le mode nostalgie, dans le regret du cinéma populaire d’hier. Tout est sur le mode du regret, du "si j’avais fais ça", du chemin choisi mal digéré, du présent mal aimé. On baigne dans le cinéma de papa. Mais monter une comédie noire sur le mode du regret est un pari gonflé, et il faut reconnaître à Leconte le culot de s’y être plongé, et le savoir-faire pour transformer cette bouffée nostalgique en beau geste. Prenons-le comme un exercice, un polar de province bien ficelé. La seule prétention (et radical garde-fou contre la critique acerbe de l’Hexagone), c’est d’avoir choisi deux intouchables pour héros. Ceux à qui on lance des fleurs, quels que soient leurs gestes, Rochefort et Hallyday. Ils sont impeccables, mais tout le monde est beau dans du bien coupé. Reste qu’il faut aussi savoir le porter, et parfois, c’est du grand art. Notamment dans une scène splendide où Rochefort sort ses quatre vérités à sa soeur (Édith Scob). Du petit-lait.

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