Festival international du film de Québec : Examen de la vue
Cinéma

Festival international du film de Québec : Examen de la vue

Pour sa 18e présentation, qui se déroulera du 4 au 10 septembre prochain, le FIFQ présente 104 oeuvres, en provenance de 37 pays, depuis Gaz Bar Blues, de LOUIS BÉLANGER, qui sera à l’honneur lors de la soirée d’ouverture, jusqu’au Coeur des hommes, de MARC ESPOSITO, qui clôturera l’événement, en passant par Elephant, de GUS VAN SANT, récipiendaire de la Palme d’or à Cannes. Examen par  catégories.

Ceux d’ici

Les films canadiens sont les plus nombreux cette année, avec 19 courts métrages et 12 longs métrages, dont deux documentaires en première mondiale: Le Cabinet du Dr Ferron, de Jean-Daniel Lafond, et 7 km2 d’infini, de Kun Chang, qui nous fait découvrir la petite communauté de l’Île d’entrée. Dans la même veine, on trouve également: Vivre en solo, de Doïna Harap, s’intéressant au fait qu’un tiers de la population occidentale vit seule, Sexe de rue, de Richard Boutet, qui traite de la prostitution de rue à Montréal, et Asteur, de Jean-Nicolas Orhon, nous proposant un périple en territoire cajun. Tandis que, côté fiction, on compte: Luck, de Peter Wellington, où la chance fait foi de tout, et My Life without Me, d’Isabel Coixet, une co-production hispano-canadienne mettant en scène une jeune mère confrontée à l’imminence de sa mort, de même que See Grace Fly, de Pete McCormack, et The Pedestrian, de Trevor Cunningham.

Ceux qui viennent nombreux
La plus grosse délégation vient pour sa part de France, avec neuf films, dont le court métrage Noctambule, de Pascal Tessaud, ainsi qu’une sélection de longs métrages parmi lesquels figurent notamment Les Tiqueurs, de Philippe Locquet, un drame s’intéressant au syndrome de Tourette, La Petite Morte, d’Emmanuelle Schick Garcia, un documentaire sur l’industrie de la porno, ainsi que Le Soleil assassiné, d’Abdelkrim Bahloul, mettant en vedette Charles Berling, Moi César, 10 ans 1/2, 1 m 39, une première histoire d’amour signée Richard Berry, et L’Ennemi intime, un documentaire de Patrick Rotman sur la guerre d’Algérie.

Vient ensuite l’Allemagne, avec six films, dont Damen und herren ab 65, un documentaire de Lilo Mangelsdorff sur des personnes âgées ayant joint une troupe de danse, Angst, d’Oskar Roehler, ou les difficultés d’un couple à la dérive, Heimkehr, de Damir Lukacevic, un drame autobiographique mettant en scène une famille d’immigrants croates, et Die farbe der seele, un drame musical de Helma Sanders-Brahms, où une infirmière vient en aide à un chanteur noir, de même que Ganz und gar, de Marco Kreuzpainter, et Wolfsburg, de Christiab Petzold.

L’Espagne et l’Italie ne sont pas non plus en reste, avec cinq films chacun, soit respectivement: Besos de gatos, de Rafael Alcázar, où, à travers la recherche d’un disparu, un père et sa fille se retrouvent, La vida de nadie (trois nominations en Espagne), d’Eduardo Cortés, à propos d’une rencontre bouleversante, Eres mi héroe, d’Antonio Cuadri, une comédie relatant la vie d’un ado des années 70, mais aussi La vida mancha, d’Enrique Urbizu, et Desnudes, de Chumilla Carbajosa, d’une part, de même que Il posto dell’ anima, de Riccardo Milani, l’histoire de travailleurs confrontés à la fermeture de leur usine, ainsi que Giovani, de Marco et Luca Mazzieri, Il più crudele dei giorni, de Fernando Vicentini Orgnani, et Memory Lane, de Fabio Carpi, d’autre part.

Celui qu’on attend avec impatience
LE film à ne pas manquer est évidemment Elephant, de Gus Van Sant, grand favori à Cannes cette année. Inspirée de la tuerie de Columbine, l’oeuvre propose une incursion dans la vie quotidienne des étudiants d’un collège américain, dans ce qu’elle a de banal et de terrifiant. Mentionnons également la présentation d’un autre film étatsunien, The Gun (from 6 to 7:30 pm), de Vladimir Alenikov. Décidément, un sujet qui inspire!

Ceux qui nous sonnent une cloche
Et si les gros noms se font rares cette année, certains s’avèrent tout de même évocateurs. Comme celui d’Idrissa Ouedraogo (11’09"01), du Burkina Faso, qui propose La Colère des dieux, mêlant histoire et mythes, ou celui d’Amos Kollek, signant Music, un des trois contes d’Erotic Tales. Idem pour ceux de Josef Fares (Jalla! Jalla!) et de la Française Jeanne Labrune (Ça ira mieux demain), qui nous propose C’est le bouquet!, mettant en vedette Dominique Blanc (en nomination pour le César de la meilleure actrice), Jean-Claude Briali et Sandrine Kiberlain.

Ceux qui piquent notre curiosité
Enfin, jetons un oeil à ces productions qui, pour une raison ou une autre, nous attirent d’emblée. D’abord, Les Triplettes de Belleville, de Sylvain Chomet, qui s’adonne au dessin animé de manière apparemment très personnelle, et Le Chignon d’Olga, du Belge Jérôme Bonnell, un jeune réalisateur de 25 ans qu’on a hâte de découvrir. Ensuite, Buddy, de Morten Tyldum, en nomination pour le prix du meilleur premier film en Norvège, et son compatriote Jonny Vang, de Jens Liens, en nomination pour le prix du meilleur film. Aussi, Amar te duele, de Fernand Sariñana, avec Luis Fernando Pena (en nomination pour le prix du meilleur acteur au Mexique) et Miss Entebbe, d’Omri Levy, où une jeune Israélienne prend un garçon palestinien en otage. Sans compter Il cuore altrove, de Pupi Avati, récipiendaire du prix du meilleur réalisateur et ayant récolté six nominations en Italie, en plus d’avoir été en compétition officielle à Cannes, de même que Le Monde vivant, d’Eugène Green, une fable présentée lors de la Quinzaine des réalisateurs, et qui s’annonce pour le moins originale. Enfin, le documentaire Vnârvarande, du Suédois Jan Troell, sur le photographe Georeg Oddner, et le drame Edi, du Polonais Piotr Trzaskalski, où un sans-abri enseigne à la soeur de deux criminels.

Cela, plus une multitude d’autres oeuvres en provenance d’encore au moins 23 pays. De quoi voyager… Alors, bon festival!

Elephant
Gagnant du Prix de la réalisation et de la Palme d’or à Cannes cette année, Elephant, de Gus Van Sant (Drugstore Cowboy), s’affirme sans contredit comme l’incontournable du Festival. Tourné en l’espace de 20 jours dans un collège du nord-est de Portland, le film s’attarde à la vie quotidienne d’étudiants ordinaires, entre les cours, le sport et les amis, avec les bons et moins bons côtés que cela suppose. Par une belle journée d’automne, l’un prend des photos, l’autre s’apprête à retrouver sa copine, pendant qu’une petite bande discute dans la cafétéria. Mais derrière la banalité se cache parfois tout un monde…

Inspirée de la tuerie de Columbine, l’oeuvre de Van Sant ne prétend cependant pas interpréter le massacre. "Du moment que vous expliquez quelque chose, il y a cinq autres possibilités qui sont en quelque sorte niées parce que vous en avez choisi une, oppose le cinéaste. Et il y a aussi l’idée de trouver une explication pour quelque chose qui n’en a pas nécessairement." En effet, comment justifier que, de 1997 à 1999, les écoles américaines aient pu être le théâtre de huit massacres? Des événements qui ont défrayé la manchette, mais qui appelaient un regard neuf, selon lui. "Je voulais essayer de capter l’atmosphère qui règne chez les jeunes qui vont à l’école aujourd’hui", confie le réalisateur, dont l’intérêt pour les ados et le thème de la quête d’identité ne datent pas d’hier, qu’on pense à My Own Private Idaho, To Die For ou Good Will Hunting.

Sa volonté de coller à la réalité s’exprime également à travers le choix d’une approche basée sur l’improvisation, qu’il avait déjà pu expérimenter lors du tournage de Gerry. Sans compter que le film met en scène de vrais étudiants, ayant eux-mêmes développé leur rôle à partir de leur propre expérience. Sauf, évidemment, dans le cas d’Alex Frost et Eric Deulen, les deux éléments perturbateurs.

La sélection des jeunes a d’ailleurs donné lieu à de franches discussions sur leur vie et les tueries dans les collèges. "Nous leur avons posé des questions comme: Vous sentez-vous en sécurité à l’école? Qu’est-ce qui se passe dans votre vie?, évoque Van Sant. Pour certains, c’est très difficile d’aller à l’école, c’est comme l’enfer. Pour d’autres, c’est agréable…" Une disparité qu’il a voulu rendre dans son oeuvre, dont le titre réfère à un film d’Alan Clarkes (BBC, 1989), portant sur les tensions en Irlande du Nord. "Elephant a été construit autour de jeunes qui vivent à une époque différente, mais qui est elle aussi particulièrement violente", conclut le réalisateur.

Kopps
Le poste de police d’un petit village de campagne suédois doit fermer ses portes d’ici trois mois. Raison? Manque de crimes… Au sein de la sympathique bande de gardiens de la paix, la nouvelle a l’effet d’une bombe. Que vont-ils devenir? Il y aurait bien une solution… Mais portant avec elle son lot d’ennuis! Josef Fares, qui nous avait donné Jalla! Jalla!, nous revient avec une comédie originale et savoureuse, exploitant un humour tantôt de situation, tantôt d’attitude, et maniant la parodie avec doigté, ce qui donne lieu à d’hilarantes envolées fantaisistes, notamment ses caricatures de films d’action hollywoodiens. Ainsi se rit-on autant du désoeuvrement des agents et de leurs piètres mises en scène – le spectateur devenant un complice – que du pittoresque de la petite communauté et du caractère des personnages, possédant chacun leur couleur propre. Si bien qu’on pardonne aisément les quelques bouffonneries de la fin. Enjoué!

Goldirocks
Goldi (Sasha Ormond, de la dynamite!) rêve de devenir une rock star. Mais à la voir aller, on dirait plutôt une groupie… Qu’à cela ne tienne, elle fera son chemin. Avec ses 47 chansons livrées par 42 groupes, dont quatre (The Chickens, Cheerleadër, Robin Black & the IRS et Sticky Rice) ont participé au tournage, Goldirocks met incontestablement la musique à l’avant-plan. On peut d’ailleurs dire que la réalisatrice-scénariste, Paula Tiberius, elle-même guitariste-chanteuse de Sticky Rice, a atteint son objectif en ébauchant un portrait convaincant de la scène rock de Toronto; une approche locale démarquant par ailleurs le film de ses semblables. Cela, tout en affirmant son parti pris féministe, mais sans pour autant négliger son histoire, ses personnages. Ainsi se prend-on d’affection pour son héroïne, petit bout de femme exubérant, spontané et sexy, qui donne à l’oeuvre son ton vif, léger et flamboyant.

Little Girl Blue
Petite nouvelle dans le quartier, Sandra a immédiatement le coup de foudre pour Mike, un voisin. Manque de pot, ils découvrent ensemble que la mère de celui-ci a une aventure avec le père de celle-là. Un secret qui entraînera bien des complications… Little Girl Blue, c’est l’histoire d’un premier amour, sujet classique s’il en est, mais abordé de manière personnelle. Pour son premier long métrage, Anna Luif nous offre ainsi un touchant récit initiatique, présentant la trahison sous un angle différent, c’est-à-dire du point de vue des enfants, intensément perturbés par les actions de leurs parents. Juste et crédible, l’ensemble vient par ailleurs subtilement nous chercher, à travers une montée dramatique efficace, tandis que ses superbes contrastes de couleurs mettent ses personnages en valeur, comme tout bon portrait. Jolie fable.

Le Cabinet du Dr Ferron
Alternant la lecture d’extraits de textes autobiographiques et fictifs de Jacques Ferron, sur fond de mises en scène lumineuses ou sépia, avec des témoignages et des images d’archives, le documentaire de Jean-Daniel Lafond a le mérite de non seulement retracer la vie de ce monument de la littérature québécoise, grand homme de médecine et d’idées, mais aussi de nous faire découvrir son oeuvre, tantôt en la laissant parler d’elle-même, tantôt à travers l’analyse de quelques experts. Sans compter qu’il aborde également un pan plus méconnu, mais non moins intéressant de la vie de l’auteur, soit son approche médicale. De facture classique, le film parvient par ailleurs à nous toucher, en faisant appel à de merveilleux conteurs, notamment les soeurs de l’écrivain et Betty Bednarski, sa traductrice. Bref, une belle rencontre.