Simon Lacroix : Requin marteau
Bricoleur d’images et conteur d’histoires, SIMON LACROIX, alias Bébé requin, aime à ce que ses films gardent un côté artisanal tout en lui permettant d’exploiter le potentiel comique du kitsch et d’affirmer sa vision personnelle du monde. Déclinaisons plurielles d’un artiste singulier.
D’abord amateur de série B, Simon Lacroix tombe un jour sur une entrevue avec Barbara Steele, qui jouait dans un Fellini. "Comme elle était belle, j’ai voulu voir le film", évoque-t-il en riant. C’en était fait de lui. À l’université, son père insiste pour qu’il choisisse un domaine d’études plus "sérieux", mais le cinéphile décide in extremis d’obéir à son cour, même s’il n’envisage pas encore la possibilité de faire lui-même des films. Les premières années de cours théoriques passées, il entre enfin dans le Club de production de l’Université Laval, où l’attend une révélation. "C’est peut-être parce que les autres étaient poches… laisse-t-il planer, mais je me suis dit que, moi aussi, je pouvais faire du cinéma." Cependant, ce n’est qu’en arts visuels, dans un cours de vidéo, que son hypothèse se confirme: "Quand j’ai vu les films de Robert Morin, j’ai découvert que j’avais le droit de mettre mes idées de l’avant; c’était ce que je voulais faire."
Son poids en Kinö
Évidemment, il ne s’engageait pas dans un domaine facile. "Surtout sur le chemin que j’ai choisi: ne pas aller à Montréal", fait-il remarquer, lui qui ne peut se consacrer à son art qu’en dehors de ses heures de travail alimentaire dans un centre d’appels. "Mais il y a tellement de projets que je peux réaliser à Québec… On a quand même plusieurs occasions de diffusion: il y a bien sûr Kinö, mais aussi Antitube et deux festivals." Ainsi participe-t-il notamment à Vidéaste recherché(e), aux Rendez-vous du cinéma québécois et à Images du Nouveau Monde.
Cependant, on le connaît surtout pour son implication dans le mouvement Kinö, où il présente des films pratiquement tous les mois, en plus de s’occuper des communications, de l’animation des soirées et de certains projets spéciaux, comme le concours d’air guitar qui a eu lieu en mai dernier. "C’est une occasion de savoir immédiatement si ton vidéo fonctionne, explique-t-il. C’est aussi un moyen de se créer des contacts, de trouver des gens pour collaborer et éventuellement faire quelque chose de plus gros." D’homme orchestre, il aimerait en effet passer à la musique d’ensemble, avec une équipe de gens compétents, comprenant exactement ce qu’il fait. Il affirme d’ailleurs avoir déjà rencontré quelques personnes avec lesquelles il a repris goût au tournage. Mais la quête se poursuit…
D.J. Kitsch
Quand on regarde ses Vidéos BS, et en particulier ses montages plus expérimentaux, on ne peut s’empêcher de comparer l’approche de Simon Lacroix à celle d’un D.J. "En fait, ce qui lie ces vidéos, c’est qu’ils sont constitués d’images que j’ai prises à la télé, sur Internet, ou que j’ai filmées dans un autre cadre, et qui ont été récupérées. C’est un peu la comparaison qu’on peut établir, acquiesce-t-il, pas avec le travail d’un D.J. traditionnel de bar, mais plutôt avec celui de quelqu’un qui récupère des sons, comme dans le rap ou le hip-hop."
Sa matière recyclable, il la puise par ailleurs parmi les pires horreurs télévisuelles. "Je n’écoute plus beaucoup la télé, mais quand je l’écoutais, je trouvais qu’il y avait des choses tellement mauvaises, que ça pouvait être tellement meilleur, et je me demandais pourquoi c’était là, commente-t-il. Pour moi, c’est de chercher ces affaires-là et de montrer au monde qu’elles n’ont pas de bon sens, mais en même temps, c’est tellement drôle qu’à mon sens, c’est meilleur qu’un show d’humour au Capitole." De sorte que lutte, heavy métal, films de série B et émissions de télé ridicules alimentent son imaginaire. "C’est sûr que Vidéo BS, c’est une critique de la télé, reconnaît le réalisateur, mais en même temps, c’est un hommage à tout ce qui a été mauvais, à part Psycho, évidemment."
N’empêche, l’artiste ne se contente pas d’amuser, il aime aussi "étriver" ses spectateurs. "Parfois, c’est un peu pour tester les nerfs du monde, avoue-t-il à propos de ses pièces plus expérimentales; en même temps, c’est ce qui fait que c’est drôle. C’est beaucoup influencé par la musique minimaliste; il y a répétition, mais à chaque écoute, ça peut être différent."
Qui perd gagne
Certains des films de Simon Lacroix se font pour leur part autobiographiques. "C’est parce que j’aime me faire humilier en public, lance-t-il dans un grand éclat de rire. La dernière fois que j’ai présenté Vacances [inspiré de souvenirs d’enfance plus ou moins reluisants…], quelqu’un m’a fait cette remarque, mais je me dis que je présente des choses qui arrivent à tout le monde et que c’est pour ça que les gens s’identifient."
Sans renier ses origines expérimentales et subjectives, le vidéaste entend cependant se diriger désormais davantage vers la comédie, comme avec Les Aventures de Sharky, ce lutteur masqué à qui rien ne semble réussir, du moins dans le premier épisode. "En fait, c’est surtout le portrait de quelqu’un qui est considéré comme looser; dans le fond, il ne l’est pas plus qu’un autre, oppose-t-il. C’est comme dans le vidéo que j’ai tourné chez Ti-Père, il y a une fille qui est probablement un gars, et qui danse à la Michael Jackson dans une robe des années 30; à mon sens, sa vie est pas mal plus intéressante que celle du gars qui est supposé avoir réussi." Des sujets de prédilection pour quelqu’un qui cherche entre autres à faire ressortir les drôleries de la réalité.
Enfin, quoiqu’il mette un point d’honneur à se renouveler, cette volonté n’exclut pas chez le réalisateur l’affirmation d’un style avec, d’un côté, des images tantôt fixes, tantôt expérimentales, sur fond de narration genre "exposé scolaire" et, de l’autre, des fictions parodiques, où toujours demeure cette touche crade lui étant si chère. "Le côté lo-fi, trash, je fais exprès pour le garder", affirme-t-il, comparant son approche à celle des groupes garage. Pour lui, le cinéma n’est d’ailleurs pas une question de technique ou de réalisme; il doit plutôt faire appel à l’imagination des gens, en privilégiant l’évocation.
Pour demain la veille
Inépuisable, Simon Lacroix annonce déjà le lancement de la cassette Autobiosharky, le 12 octobre, à l’Arlequin, un nouveau concours d’air guitar pour novembre et une deuxième cassette de Vidéos BS pour l’hiver. Il prépare en outre un festival, Total Crap, à côté duquel les Vidéos BS ne seraient rien. D’ici peu, on pourrait aussi le voir chanter sur scène et réaliser des vidéoclips, quelque chose qui l’attire beaucoup, tandis qu’à plus long terme, il aimerait concrétiser le projet de série télé qui lui trotte dans la tête depuis un moment déjà. Bref, regardez-le bien aller!
Prochain Kinö
Le 7 septembre
À l’Arlequin
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Kinö Rock
Le party de la rentrée de Kinö sera l’occasion du lancement des premiers vidéoclips réalisés dans le cadre de Kinö rock, un projet consistant à jumeler des cinéastes et des groupes habitués de l’Arlequin. Parmi les participants, on retrouve notamment: Simon Lacroix et The Aversions, Dominique Goulet-Lapointe et The Rocketeers, Hans Gauthier et Chernobyl Cha Cha, Vincent Boulet, Surcharge et le collectif Formika. Sur place: projections vidéo, prestations musicales de groupes participants et beaucoup de plaisir en perspective. Le 13 septembre, à l’Arlequin.