À cinq heures de l’après-midi : Poésie au coeur des ruines
Après La Pomme (1998) et Tableau noir (2000), la jeune réalisatrice iranienne Samira Makhmalbaf signe un troisième long métrage empreint de poésie, d’espoir et de tristesse. Son film À cinq heures de l’après-midi nous entraîne au coeur d’une réalité encore mal connue, celle de l’Afghanistan contemporain et de sa reconstruction difficile après la chute du régime taliban. Portrait d’un pays déchiré entre fanatisme religieux et modèle occidental où la libération de la femme en est encore à ses premiers balbutiements. "Je ne pense pas qu’à travers la télévision, les médias, on puisse connaître la réalité de l’Afghanistan… Aussi, après le 11 septembre, j’ai voulu m’y rendre moi-même pour voir ce qui s’y passait vraiment… J’y suis allée sans idées ou jugements préconçus. J’ai observé la vie là-bas et j’ai essayé de la rendre du mieux possible dans mon film."
À cinq heures de l’après-midi nous fait ainsi plonger dans la vie de Noqreh (Agheleh Rezaïe), jeune femme dans la vingtaine au regard déterminé qui rêve de devenir première présidente afghane. Son vieux père (Abdolgani Yousefrazi), un islamiste conservateur, s’évertue à la déposer à l’école coranique. Mais chaque fois arrivée dans cette petite cour où s’entassent des silhouettes bleues, Noqreh enfile sa paire de talons hauts et s’échappe, le visage découvert, sous un parapluie-ombrelle, pour se rendre à l’école libérale, celle où les femmes ont le droit de devenir ingénieures, médecins, et même politiciennes. "Quand je suis arrivée en Afghanistan, je n’avais pas encore de scénario en tête… Et puis j’ai vu toutes ces femmes qui étaient toujours sous leurs burqas, même sans le régime taliban. J’ai commencé à discuter avec elles un peu partout, dans les rues. Je sentais dans leurs voix désir, volonté, espoir de changement. Alors je me suis dit que si je faisais un film, ce devait être sur ces femmes, leur courage, leur force combative." Samira Makhmalbaf se fait donc porte-parole d’une voix encore trop peu entendue, mais elle présente aussi, de manière intelligente et compréhensive, l’islamisme conservateur des aînés. "Il faut savoir que la situation des femmes dans ce pays se situe bien au-delà du régime taliban, c’est beaucoup plus profond, ancré dans une culture, une manière de penser qui est là depuis des années." La réalisatrice dévoile ainsi le fossé se creusant entre les générations dans l’Afghanistan actuel.
Les trois personnages au coeur du film représentent bien les différentes facettes de cette nouvelle réalité. "Le vieux père incarne les valeurs du passé. Il est le symbole taliban parce qu’il croit en ce que le régime lui a enseigné. Et en même temps, il n’est pas mauvais, on éprouve de la sympathie pour lui… Noqreh, sa fille, est à l’image de cette nouvelle génération de femmes qui a soif d’émancipation, qui veut changer le pays." Et puis il y a la belle-fille qui évoque tristesse, misère, attendant un mari qui ne reviendra plus. Portrait d’une réalité dure, complexe, survolée par des avions militaires que tout semble éloigner de cet univers.
Les acteurs du film ne sont pas des professionnels. "J’ai trouvé mes personnages parmi les gens de la rue. Cela n’a pas été facile de les persuader de jouer pour moi… Ce n’est pas qu’ils étaient fermés d’esprit, mais ils avaient peur, étaient intimidés à l’idée de se trouver face à la caméra." Les dialogues ont également été inspirés par ce que la réalisatrice a pu entendre dans les rues. Le résultat est d’une authenticité bouleversante.
Les images toutes de bleus et de pastels rendent avec poésie l’aridité de ce paysage, l’effervescence des rues de Kaboul et l’exode perpétuel d’une population laissée à elle-même dans un pays en ruine. Dans une scène pleine de grâce, Noqreh tape du pied avec ses talons blancs, "symbole de la féminité", au coeur des décombres silencieux de ce qui fut un jour un somptueux palais. C’est l’écho de son existence qu’elle cherche à entendre.
Un chant sublime à la liberté et à la poésie.
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