American Splendor : Double jeu
Cinéma

American Splendor : Double jeu

1970, ville de Cleveland, Ohio. Harvey Pekar (Paul Giamatti), bougon personnage, travaille comme documentaliste dans un hôpital où il répertorie les décès. Ses moments libres, il les passe dans le bazar de son appartement, allongé sur le canapé au milieu de sa collection de disques jazz, à lire, écrire et disserter sur la vacuité de son existence. Jusqu’au jour où, voyant son ami Robert Crumb (James Urbaniak) percer dans le monde des comic books, il décide lui aussi de se mettre à écrire une bande dessinée. Pas question de super-héros ou de décors fantastiques dans son univers. Ironiquement baptisée American Splendor, sa bande dessinée raconte l’histoire de ses échecs personnels, de ses névroses et tracas quotidiens. Depuis 1976, à raison d’un numéro par an, Harvey Pekar a fait de sa médiocrité le sujet même de son oeuvre.

Chronique d’un antihéros, le film de Robert Pulcini et Shari Springer Berman propose un regard singulier, acidulé et drôle sur la vie de l’auteur. Alliant fiction, animation et documentaire, American Splendor (Grand Prix du jury, Festival de Sundance 2003) oscille entre les genres. Le film est conçu comme un collage où s’entrecroisent témoignages du vrai Harvey Pekar, illustrations BD de Robert Crumb, images d’archives de l’émission Late Night with David Letterman – où Pekar fit plusieurs apparitions – et fiction, Paul Giamatti incarnant avec brio l’auteur de bande dessinée.

Tarabiscotée et audacieuse, cette mise en scène illustre les troubles de l’écrivain. Dans un passage délirant, le personnage du film s’interroge: "Qui est Harvey Pekar?" S’agit-il de l’homme médiocre travaillant à l’hôpital, du héros raté de bande dessinée, ou de l’auteur auquel les médias feignent de s’intéresser? Une réflexion sur le travail de l’artiste, les frontières diffuses existant entre réalité et fiction à partir du moment où l’on pose sa vie sur papier.

Et puis, au milieu d’un cynisme ambiant qui remet en question la notion même de réussite, reste l’aspiration à un certain bonheur, le désir de donner un sens au sentiment de vide existentiel. Ce pseudo-équilibre, Pekar finit par le trouver auprès de Joyce (Hope Davis), une femme aussi dépressive et désabusée que lui.

Rien de grandiose dans American Splendor. Du simple, du vrai, de la réalité à l’état brut, parce que la "vie ordinaire est une chose assez compliquée" comme ça. Le ton est caustique mais aussi profondément humain, de par la distanciation, la capacité à rire de soi.

Les discussions entre Harvey et son collègue semi-autiste Toby Radloff (Judah Friedlander) à propos de jujubes au piña colada ou du film Revenge of the Nerds donnent lieu à des répliques savoureuses. Le jeu des acteurs, la reconstitution des années 70, le style éclectique sonnent on ne peut plus juste.

Aussi, que vous connaissiez Harvey Pekar ou non, vous apprécierez l’humilité et la répartie cinglante du personnage. Un film original, drôle et intelligent.

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