John Sayles : Commerce équitable
Figure du cinéma indépendant américain, JOHN SAYLES (Sunshine State, Lone Star, Men with Guns) est connu pour ses films à saveur politico-sociale. "Je me suis toujours intéressé aux éléments pouvant éloigner les hommes, que ce soit l’origine ethnique, l’argent, le langage… Je me considère comme politique dans la mesure ou je fais des films tendant à éveiller à une certaine conscience." Rencontre.
Dans Casa de Los Babys, le réalisateur aborde ces questions de clivages par le biais d’un sujet controversé: l’adoption d’enfants de pays défavorisés par des Américaines. John Sayles nous fait ainsi plonger dans un univers éminemment féminin. Six Américaines n’ayant a priori rien en commun se trouvent réunies dans un petit hôtel d’une ville balnéaire d’Amérique latine (jamais définie), dans l’attente de l’approbation de leur demande d’adoption. Certaines sont là depuis des mois, devant faire face à la lourde bureaucratie d’un pays qui en profite pour se sucrer la patte au passage. Aussi, pour occuper leurs journées, elles vont à la plage, se promènent en ville, se confient l’une à l’autre. Entre humour et pathos, on apprend à connaître la réalité de chacune: fausses couches à répétition, enfance pénible, situation financière difficile, mariage précaire… "Ce qui m’intéressait, c’était de montrer comment toutes ces femmes, venant de lieux, d’horizons, de classes et de passés différents, n’ayant pas nécessairement grand-chose en commun, se trouvent forcées à cohabiter, apprennent à se connaître et créent une petite communauté, un univers social particulier."
Et puis, autour d’elles, gravitent une multitude de personnages appartenant à une société économiquement plus précaire, celle de ce pays sud-américain. Il y a les enfants de la rue, déjà trop grands pour être adoptés, qui sniffent de la colle dans les ruelles de la ville; une jeune fille de 15 ans, enceinte, se voyant obligée de penser à l’adoption; un rêveur dans la trentaine qui joue au loto espérant immigrer aux États-Unis; la propriétaire parvenue de l’institution et son fils; un pseudo-marxiste dénonçant ce commerce infantile: "Parce que c’est toujours comme ça, nous on fournit la matière première et eux (les Américains) la raffinent."
En représentant ces deux univers, Sayles voulait illustrer différentes manières d’appréhender la question de l’adoption. "Je ne dis pas que c’est bien ou mal d’adopter à l’étranger. Je ne fais pas de jugement de valeurs mais cherche simplement à faire un constat de ce phénomène, j’essaie d’éveiller les consciences au sujet. Parce qu’une chose est sûre, aucun Philippin ne vient aux États-Unis adopter nos enfants. Mais les Américains, eux, estiment que c’est une belle chose que d’aller dans d’autres pays pour le faire. Or pour les gens de ces pays moins développés, il y a aussi un sentiment de culpabilité, l’impression de ne pas être capable de s’occuper de leurs propres enfants… Il y a cette idée d’impérialisme culturel qu’on ne peut jamais tout à fait dissocier de ce geste, aussi positif, humain soit-il."
Le jeu des actrices (Daryl Hannah, Lili Taylor, Maggie Gyllenhaal, Marcia Gay Harden, Mary Steenburgen, Susan Lynch) est irréprochable. "Pour moi, un des grands bonheurs de la réalisation est de réunir des personnes qui ont du talent et de voir ce qu’elles peuvent apporter à mon oeuvre, sans leur avoir forcément dit ce que j’attendais d’elles…" Or, malgré cette interprétation sans failles et l’intérêt du propos, le film a tendance à s’éparpiller dans des conversations qui sonnent parfois un peu formelles, forcées, et un monde d’oppositions culturelles trop marquées.
S’il ne s’agit pas de la meilleure réalisation de Sayles, Casa de Los Babys n’en reste pas moins un petit film sans prétentions qui, explorant les différentes facettes d’une réalité peu connue, porte à réfléchir.
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