Sur le seuil : Le Québec dans le sang
Cinéma

Sur le seuil : Le Québec dans le sang

Premier thriller fantastique québécois, Sur le seuil marque la venue d’un nouveau réalisateur au cinéma: ÉRIC TESSIER. Fort appréciée du public au dernier festival Fantasia à Montréal, cette adaptation du roman de PATRICK SENÉCAL, qui a co-écrit le scénario avec Tessier, se veut un divertissement intelligent mâtiné d’horreur et de parapsychologie. Comment réagira le grand public? Rencontre avec le réalisateur, le romancier et les trois acteurs  principaux.

Un policier devenu fou (Normand D’Amour, convaincant) abat 11 enfants. Peu de temps après, le célèbre écrivain d’horreur Thomas Roy (Patrick Huard) se coupe les doigts à l’aide d’une tranche à papier avant de tenter de se suicider. Grâce à Monette (Jean L’Italien, qui apporte un brin d’humour à l’ensemble), un journaliste à potins qui prépare une biographie sur Roy, le psychiatre Paul Lacasse (Michel Côté), un homme désabusé qui songe à la retraite, découvre que le romancier aurait peut-être quelque chose à voir avec d’autres meurtres. Surgissent des souvenirs de Roy trois mystérieux prêtres (Albert Millaire, Jean-Pierre Bergeron et Nicolas Canuel, tous trois parfaitement inquiétants). Refusant d’abord de croire qu’une série d’événements étranges fassent un lien entre l’oeuvre de Roy et le crime du policier, Lacasse se laisse entraîner par sa collègue Jeanne (fraîche Catherine Florent), admiratrice du romancier, dans une enquête qui lui réservera de terrifiantes surprises.

Pourquoi vouloir faire un film de ce genre, pour se démarquer des autres productions québécoises? "Ce n’était pas planifié. J’ai lu Sur le seuil par hasard, explique Éric Tessier, visiblement nerveux à quelques heures de la première. J’ai beaucoup aimé l’architecture du roman, j’ai été bouleversé par le personnage de Paul, qui doit tout remettre en question. De plus, je le trouvais accessible pour un premier film parce qu’il n’y avait pas beaucoup de personnages. Je n’aime pas ce qui est insipide, convenu… quitte à me casser la gueule! La dérision et l’irrévérence me plaisent; j’aime utiliser les artifices du cinéma."

Dans le chic hôtel Saint-James, l’heure est à la rigolade pour Michel Côté et Patrick Huard, réunis à nouveau après La Vie après l’amour, et qui ne tarissent pas d’éloges sur les talents respectifs de Tessier et de Senécal: "Le film a une teinte très personnelle, raconte Huard. Éric n’a pas tenté de faire un sous-produit américain. Le film a une couleur locale, mais pas au sens péjoratif du terme. Ce que je trouve intéressant, c’est qu’on y mélange l’humain à l’entertainment. Tout ce qui arrive de paranormal vient bousculer Paul, qui était en pleine réflexion sur sa vie. Je ne crois pas qu’il y ait de cheap thrills." Michel Côté renchérit: "C’est pas quétaine! Des fois, ce genre de film-là peut basculer facilement dans les clichés à l’américaine. Je ne peux pas supporter ce genre de films. J’ai embarqué dans ce projet parce que je trouvais ça intelligent et possible… jusqu’à ce qu’on tombe du côté paranormal. Et qui sait si, dans 25 ans, on n’aura pas réussi à expliquer ce qui nous apparaît comme le Mal? Aussi, je trouve que, cinématographiquement parlant, c’est très épuré, presque documentaire. On ne cherche pas à créer des effets inutiles."

À l’instar d’Éric Tessier, les comédiens ont dévoré le roman de Senécal tant ils ont été séduits par l’histoire et sa structure. Jointe au téléphone, Catherine Florent raconte: "J’ai lu le scénario d’un trait; ensuite, je suis allée m’acheter le roman. J’aime bien le fantastique au cinéma, mais j’en lis très peu. Ce roman est vraiment une belle découverte. J’aimais le projet, car c’était tout à fait à l’opposé de ce que j’avais déjà fait (Station Nord, Caméra café)."

Écrit à la première personne, Sur le seuil comporte des fragments à la deuxième personne qui plongent peu à peu le lecteur dans un univers cauchemardesque. Un double défi que Tessier et Senécal ont très bien relevé sans dénaturer l’esprit du roman: "Je n’ai pas hésité à couper dans le récit, je voulais être bon prince, explique le romancier. Mais c’était clair avec mon éditeur Jean Pettigrew et la productrice Nicole Robert qu’on ne changerait pas la fin. Sinon, je ne l’aurais pas fait. Je ne voulais pas d’une fin hollywoodienne." Ayant pour pivot un personnage cérébral qui mettra du temps à laisser sa rationalité au vestiaire, Sur le seuil se présente d’abord sous la forme d’un thriller sombre et glacial. En favorisant des plans fixes et des cadrages serrés, Tessier parvient à créer un effet d’étouffement. Pas besoin de clair-obscur ou de personnages surgissant du noir: on sent les forces du Mal s’éveiller tranquillement.

Avant que tout bascule dans l’horreur, cinq furtives séquences oniriques apparaissent, habilement intercalées entre les scènes. En les observant attentivement, on découvre qu’elles dévoilent quelques clés de l’énigme… ou du moins, qu’elles annoncent que le pire est encore à venir. Ces images inquiétantes baignant dans une lumière rouge et où l’on voit des corps ensanglantés sont l’oeuvre du réalisateur français Alain Escalle, remarqué au FCMM avec son film Le Conte du monde flottant. Ayant eu le coup de foudre pour son travail, Tessier lui a montré la première version de son film afin de lui demander d’illustrer les passages écrits à la deuxième personne ainsi que le générique d’ouverture: "Il a travaillé avec Peter Greenaway, explique le réalisateur, alors je lui ai donné carte blanche. C’est très rare que je fais ça! On a filmé deux danseurs avec une caméra numérique bas de gamme, puis on a fait le montage ensemble avec un logiciel sophistiqué."

Hormis l’atmosphère tendue et le scénario bien ficelé, l’une des grandes forces de Sur le seuil réside dans l’interprétation. Acteur caméléon par excellence, Michel Côté se glisse avec aisance dans la peau de cet homme complètement dépassé par les événements, qui perd petit à petit ses points d’ancrage. Dans un rôle peu bavard, Patrick Huard a judicieusement approché Roy comme une victime plutôt qu’un psychopathe: "Il ne fallait pas oublier qu’il devient menaçant malgré lui, dit Huard. Mais surtout qu’il est d’abord humain. Éric ne nous aurait pas laissés tomber dans le grotesque." Le résultat s’avère tout à fait convaincant.

Croyez-vous que le public québécois appréciera de voir un film fantastique comportant des éléments d’horreur tourné ici? "Pourquoi pas? répond Senécal. Les Québécois sont bien prêts à aller voir des films américains du genre!" "Nous allons chercher le public qui n’est pas allé voir Séraphin", blague Tessier. En reste-t-il? Pour sa part, Catherine Florent se montre confiante: "Les gens ont envie de voir les nouveaux films qui sortent des sentiers battus. En tout cas, celui-là, les gens l’attendent beaucoup." Les puristes resteront peut-être sur leur appétit, mais le grand public appréciera sans doute l’audace: "Nous sommes le seul pays où l’on peut battre, per capita, les Américains au box-office, de conclure Côté. Ça ne passera pas inaperçu." Un seul avertissement: femmes enceintes, s’abstenir.

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