Amélia : Force centrifuge
Cinéma

Amélia : Force centrifuge

Le chorégraphe ÉDOUARD LOCK présentait, en première mondiale, dans le cadre du Festival international du nouveau Cinéma et des nouveaux Médias de Montréal, l’adaptation cinématographique de sa pièce Amélia, dont il a assumé l’entière réalisation. Entretien.

C’est par un plan en plongée qu’on entre dans ce film comme à l’intérieur d’un puits. L’illusion d’optique créée par la scénographie contribue à engendrer cet effet. Il s’agit d’un plancher de bois franc dont les lattes partent du centre, dans quatre directions, s’allongeant à mesure qu’elles s’en éloignent. Une danseuse est étendue au milieu. Elle se lève. Nous la rejoignons tout en bas. C’est alors que nous réalisons que ce plancher n’a, en fait, aucune limite horizontale. Et qu’il monte vers le plafond, dévoilant une scène sans issue, où murs et sol ne font qu’un. "Je voulais créer un plancher de danse qui englobe en quelque sorte les danseurs", explique Édouard Lock.

Tout au long des séquences, nous voyageons à l’intérieur de cet espace scénique, en changeant continuellement de point de vue. "Quand un public est intéressé, même s’il est assis dans le même fauteuil tout le temps, il va recalculer sa position, confie le chorégraphe et réalisateur. C’était donc un peu cette idée de ne pas faire de la caméra un témoin passif, mais presque un représentant de ce qui me fascinait, moi, comme public lorsque je voyais cette pièce."

Tous ces déplacements de caméra ont d’ailleurs, dans un endroit clos comme celui qu’a conçu le chorégraphe, suscité l’amusement de l’équipe. "Quand les danseurs finissaient une séquence, ils ne pouvaient pas sortir, car il n’y avait pas de coulisses à proprement parler, raconte Lock. Les coulisses, c’était l’arrière de la caméra. Alors, si la caméra était en train de bouger, il fallait que l’on coure, moi inclus, en arrière de celle-ci. C’est donc une coulisse qui était continuellement en mouvement. C’était assez amusant à voir, car c’était vraiment comme un deuxième niveau de chorégraphie."

Ces multiples variations et rapprochements de caméra nous permettent de saisir davantage les nombreux détails qui composent cette pièce et qui nous échappent lorsqu’on est assis dans une salle de spectacle. Par exemple, le visage de la danseuse Mistaya Hemingway, qui nous apparaît en gros plan, empreint d’une inquiétante étrangeté rappelant cet aspect bipolaire ange/démon dont Louise Lecavalier était également animée.

Cette adaptation de près d’une heure respecte l’esprit de la pièce Amélia, qui tourne largement autour de l’idée d’ambiguïté que Lock n’a d’ailleurs cessé d’entretenir dans ses oeuvres depuis Lily Marlène dans la jungle (1980), et qu’il sent comme faisant partie de l’état naturel des choses. Tout comme la tendresse qui n’est pas, selon lui, nécessairement reliée à l’interaction entre masculin et féminin, mais qui existe simplement comme un désir de rencontrer, d’envelopper, de goûter, de toucher à l’influence d’autres personnes.

Cette vision des choses donne d’ailleurs droit à de savoureux duos entre les partenaires, du même sexe ou non, qui dialoguent par l’entremise d’une gestuelle hyper-rapide où les mouvements de bras ne sont pas sans rappeler certains gestes quotidiens utilisés dans le langage non verbal de Monsieur et Madame Tout-le-monde. "Si les gens réalisaient à quel point ils sont subtils dans la façon dont ils bougent, je crois qu’ils s’aimeraient un peu plus."

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