Entrevue avec Robert Lepage : Adaptation
Cinéma

Entrevue avec Robert Lepage : Adaptation

ROBERT LEPAGE présente, ces jours-ci, l’adaptation cinématographique de sa pièce La Face cachée de la lune. Il avait accepté, en septembre dernier, de nous livrer ses impressions sur l’art de la transposition et cette oeuvre en particulier. Extraits.

Comment abordez-vous le passage de la scène à l’écran?

"En fait, chaque pièce vient avec ses règles, ses obstacles et ses défis. Pour La Face cachée…, je pense que le grand défi, c’était que ce soit joué par une seule personne. C’était de savoir: si je joue dans mon film, est-ce que je joue les deux frères? Si oui, est-ce que je joue aussi la mère? Et là, tu te rends compte que le cinéma t’impose des limites. Ensuite, il y a tout le défi de ce qui est raconté et de ce qui est vu. Au théâtre, surtout dans La Face cachée…, il y a des images, il y a la scénographie, mais quand on dit que ça se passe dans un grand restaurant, on l’imagine, il faut donc parler beaucoup pour que les gens le voient. Au cinéma, il faut faire acte d’humilité et couper le texte. À la fin, il faut que tu regardes ton film et que tu oublies la pièce."

Qu’est-ce que le cinéma vous permet que le théâtre ne vous permet pas?
"Au théâtre, il y a une intimité avec l’acteur, mais au cinéma, tu as une intimité plus avec l’histoire. Et tu peux aller chercher, au niveau du jeu, des choses parfois plus intéressantes que sur scène. Il y a les gros plans, toutes ces choses-là… C’est un autre langage, auquel il est difficile d’accéder au théâtre. Ensuite, c’est sûr que c’est un grand défi de folie, le cinéma, surtout si tu adaptes une pièce créative. Il faut que ce soit aussi inventif, et les moyens sont bien différents. Bien sûr, un n’est pas mieux que l’autre, et je ne favorise jamais, mais si c’était le cas, ce serait le théâtre, parce que je trouve que ça demeure un art évocateur, envoûtant. Le cinéma, j’en suis encore à essayer de comprendre comment ça fonctionne. Sur scène, tu peux créer un monde avec une chaise, un spot, un acteur, tandis qu’à l’écran, ça ne dure pas longtemps, une chaise, un spot, un acteur (rires)!"

Quelles étaient les visées esthétiques de La Face cachée…?
"La pièce est très inventive, donc, c’est sûr qu’au cinéma, j’avais envie que ce soit ludique comme au théâtre. Par exemple, sur scène, j’avais un miroir en diagonale et je me traînais par terre pour donner l’illusion que j’étais en apesanteur. C’est sûr qu’à l’écran, tu ne fais pas ça, alors comment le présenter de façon poétique? Aussi, c’est une pièce qui comporte beaucoup d’un humour très simple, très banal, alors il fallait que le film aussi soit comme ça, léger, pas trop prétentieux. Je pose de grandes questions, mais je les désamorce tout de suite par des choses quotidiennes, et ça, ça a été un gros défi de trouver comment."

Et le fait d’être à la fois réalisateur et acteur…
"À l’avenir, je vais essayer de le faire plus (rires)! Je n’aurai peut-être pas toujours les deux premiers rôles, mais… J’ai eu envie de continuer à me diriger parce que, quand tu es réalisateur, c’est parfois difficile d’aller chercher certaines choses chez les acteurs. Quand tu joues, évidemment, tu comprends la vision du réalisateur, tu es le réalisateur, alors ça, c’est intéressant. Aussi, sur le plan de l’apprentissage, j’avais tout le matériel, donc, j’ai pu mesurer ce que j’étais capable de faire, ce que je faisais moins bien. Ça a été une belle leçon de jeu. J’avais peur de ça, de me voir pendant deux mois, mais au contraire, j’étais complètement détaché. Comme un des thèmes de La Face cachée… est le narcissisme, il faut que tu fasses attention, quand tu joues dans ton propre film, de ne pas tomber là-dedans!"