Cinemania – Twentynine Palms : Un couple sans histoire
Cinéma

Cinemania – Twentynine Palms : Un couple sans histoire

Twentynine Palms est le nom d’une petite ville située dans le désert californien. David (David Wissak) et Katia (Katia Golubeva) s’y arrêtent le temps d’un repérage photographique dans la région. Elle est russe. Il est américain. Ensemble, ils parlent un français douteux, communiquant surtout par une sexualité brute. Au coeur du désert, ces deux êtres retournent à une sorte d’état primitif. Ils passent leurs journées à arpenter les routes caillouteuses dans leur gros 4 x 4, à se dénuder au soleil, à faire l’amour, s’engueuler, manger des glaces…

Soyons clairs, le nouveau film de Bruno Dumont sera loin, très loin de faire l’unanimité. On sera fasciné ou on détestera. Pas de juste milieu pour cette histoire d’amour et d’horreur. Ce qui n’est pas sans déplaire au réalisateur qui aime déconcerter. "J’aime confronter le spectateur aux choses. C’est vrai que ça donne parfois des films durs, mais je pense que c’est toujours pour un bien. Il y a dans le divertissement quelque chose qui m’ennuie." Dumont a un public d’adeptes, et c’est tant pis pour les autres. Cinéaste au regard singulier, il a le courage d’expérimenter, de prendre des risques.

Pour son troisième long-métrage, il a décidé de quitter sa ville natale de Bailleul (France), où il avait l’habitude de tourner, pour se retrouver au milieu du désert de Joshua Tree. "Après La Vie de Jésus (1997) et L’Humanité (1999), j’ai senti le besoin de changer de décor, de prendre un peu d’air. Les producteurs avec qui j’ai l’habitude de travailler m’ont proposé de faire un voyage en Californie pour voir le désert… À la découverte de ce décor, j’ai subi un choc physique profond, une sensation de peur. J’ai voulu fabriquer un film sur cette sensation, essayant d’épurer le sujet au maximum… Ce qui m’intéressait, c’était le désert comme toile de fond. Je sentais qu’il y avait là de la matière."

Au coeur de cet espace minéral, la caméra fixe le temps, les déambulations, les pulsions sexuelles du couple. Le réalisateur explique: "Je suis très sceptique par rapport à la culture, au langage, au concept. Ce qui m’importe, c’est de travailler la matière… Pour moi, le cinéma est philosophique. Il parle des mêmes choses, mais à travers des corps, des sensations. C’est très métaphysique finalement… Ce qui m’intéresse au cinéma, c’est de travailler au niveau de la catharsis. Impressionner le spectateur mais dans un sens physique, en lui envoyant des sensations."

Une approche cinématographique qui nécessite une direction d’acteurs particulière. "Je ne donne pas de scénario ni de dialogues aux acteurs. Ils sont mis dans une situation, et j’attends qu’ils réagissent. C’est la situation qui crée tout… Parce que dès qu’on écrit, on joue, et on peut mal jouer. Je demande donc aux acteurs d’improviser, mais sur une ligne directrice."

Ce faisant, Dumont propose une composition visuelle qui s’amuse à renverser les codes, à détourner la représentation habituelle du désert américain. "Si je suis parti aux États-Unis, c’est un peu aussi à cause du désir américain, ou plutôt du désir de l’Amérique qu’il peut y avoir dans la tête du spectateur. J’ai eu envie de jouer avec cette fascination, de dire: Tu veux voir l’Amérique? Ben voilà l’Amérique (rires)… Mais c’est un peu cynique en même temps…"

N’allez pas voir Twentynine Palms en espérant qu’on vous raconte une histoire. Là n’est pas l’intérêt. "Mon film n’a rien à dire… Le cinéma d’idées, ça m’emmerde." Finalement, Dumont aurait presque pu se contenter de filmer le désert. "Ce sont des choses auxquelles j’aimerais éventuellement arriver. Réduire au maximum. Je suis très attiré par tout ce qui est installation vidéo, les films dans les musées… J’aimerais faire des choses un peu plus expérimentales."

En attendant, Twentynine Palms offre une expérience cinématographique d’une grande beauté, pour public averti…

Dans le cadre de Cinemania
Du 6 au 16 novembre

Info: www.cinemaniafilmfestival.com, (514) 878-0082