Il est plus facile pour un chameau : Les pauvres riches
"Il est plus facile pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille que pour un riche d’entrer au royaume des cieux." Ces paroles de l’Évangile annoncent l’idée maîtresse de ce premier long-métrage de VALÉRIA BRUNI TEDESCHI. L’argent vécu sur le mode de la culpabilité… Entretien avec la réalisatrice.
Frédérica (Valéria Bruni Tedeschi) est riche, tellement riche que ça lui pèse, l’empêche d’assumer sa vie d’adulte. Au chevet de son père mourant, elle se trouve déchirée entre une famille trop gâtée – une soeur névrosée (Chiara Mastroianni), un frère qui passe sa vie à faire le tour du monde (Lambert Wilson) -, un compagnon (Jean-Hugues Anglade) avec qui elle hurle le chant de L’Internationale, et un ancien amant qui refait surface (Denis Podalydes). Seule échappatoire à cet univers tyrannique? Le ludisme et la rêverie dont la jeune femme est friande…
On la connaissait en tant qu’actrice (Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel, Oublie-moi, Nénette et Boni, Encore…). Valéria Bruni Tedeschi nous révèle cette fois ses talents de scénariste et réalisatrice. Comment expliquer ce désir de passer de devant à derrière la caméra? "Au départ, j’ai surtout eu une envie d’écriture. J’avais participé au scénario d’un film de Mimmo Calopresti (réalisateur italien), et ça m’a donné envie de continuer. Par contre, le fait de réaliser le film moi-même a été un processus très long à assumer. Pendant des années, je ne me sentais pas légitime, j’avais l’impression d’être un imposteur… J’ai donc été encouragée, presque obligée, par Noémie Lvovsky (coscénariste du film) et Mimmo Calopresti, avant d’accepter de me lancer."
Autobiographie? Autoportrait? Bien que les parallèles entre Il est plus facile pour un chameau et le milieu de la réalisatrice soient nombreux, là n’est pas l’essentiel… "C’est un film qui part d’une réalité que je connais. Je ne parle que de choses à moi, parce que je ne peux parler de rien d’autre. Alors c’est sûr que c’est toujours personnel, mais on reste quand même dans le cadre d’un scénario, de la fiction… En même temps, j’ai eu envie de donner, esthétiquement, un peu comme dans les films iraniens, cette espèce d’équivoque du documentaire. Mais il faut y voir une décision d’ordre purement artistique."
Une équivoque qu’on retrouve aussi dans la structure du film, oscillant constamment entre réalité et délire. "Je voulais montrer qu’il n’y a pas de frontière nette entre la réalité, le rêve, le passé, le présent… Parfois, un rêve est plus authentique qu’une situation vraie. Parfois, le passé est plus important, plus puissant, plus décisif que le présent. Il n’y a pas de hiérarchie, mais bien plutôt un tout qui se mélange."
Recette fantaisiste qui, mariant audacieusement douleur et humour, mélancolie et burlesque, montre l’être humain sous son aspect "immensément attendrissant". Le film est notamment ponctué de scènes tournées dans des cours de ballet classique pour amateurs, exaltation même de cette fragilité attachante. "En regardant tous ces gens réunis dans cette classe, vieux, gros, petits, maigres, maladroits, un peu ridicules, un peu grotesques… avec tellement de rêves dans les yeux et l’envie de s’envoler, j’ai eu l’impression que l’humanité entière était concentrée dans ce microcosme. Je veux dire qu’on est là, sur cette Terre, misérables, pleins d’empêchements, de peurs, tout lourds… Mais en même temps, on est divins, parce qu’on a envie de voler. Je trouve cela profondément émouvant."
Une tendresse que Bruni Tedeschi nous transmet avec grâce, à travers une histoire empreinte de rêves, de fantaisies et de gaieté enfantine. Un pur enchantement.
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