TOP 5 FILMS 2003
Stephan Larouche
1 – Alexandra’s Project, de Rolf de Heer
Une famille modèle, une banlieue australienne aisée, le tout baigné d’une lumière chaude, réconfortante. Une vision bucolique du bonheur parfait… en surface. Ce film extrêmement dérangeant de Rolf de Heer (The Quiet Room) s’impose comme la révélation de 2003 par sa force de frappe et son intensité. Quel est ce projet d’Alexandra? En tant que spectateur, on le découvre simultanément avec Steve (Gary Sweet), ce bon mari qui croit qu’on l’attend à la maison pour son anniversaire. Il n’est pas au bout de ses peines car il y a péril en la demeure. Sans trop révéler ce qu’Alexandra (Helen Buday) a derrière la tête, on peut divulguer qu’une vidéocassette joue un rôle essentiel dans ce drame psychologique que Michael Haneke souhaiterait avoir dans son corpus personnel. Les performances des deux conjoints (des comédiens inconnus ici) atteignent la stratosphère, appuyées de longs plans-séquences sans détour; dans le cas de Buday, parlons de virtuosité pure et simple. Alors, de surprise en surprise, des confessions en montagnes russes aux expérimentations narratives très contraignantes, on aboutit à une ouvre dénudée mais ô combien prenante. Un régal de maîtrise chirurgicale, qui nous laisse pantelants. Alexandra’s Project ne laissera personne indifférent lors de sa sortie prochaine.
2 – Mystic River, de Clint Eastwood
Ce grand film parlera fort à quiconque a déjà perdu un être cher dans des circonstances violentes. N’empêche que Clint Eastwood ne filme pas ici, il laboure dans les âmes déchirées de trois hommes (Sean Penn, Tim Robbins et Kevin Bacon) qui transportent un lourd secret depuis l’enfance. Avec son style direct, sans fioriture aucune, le réalisateur sert admirablement bien cette adaptation du roman de Dennis Lehane, signée Brian Helgeland (Payback). Il réussit à peindre le désarroi, la détresse et la souffrance comme un fardeau inévitable de ces gens ordinaires. Cela devient à la fois un thriller lent et profond et une étude de mours ciselée, où le dénouement, n’évitant pas les équivoques, brave les solutions faciles de la plupart des films courants. Et puis, Sean Penn re-confirme, comme si cela était nécessaire, pourquoi il est l’acteur de sa génération: en laissant cette gamme de sentiments, de la colère à l’abattement, virevolter au sein de cet ex-truand. Sans conteste, on lui remet déjà l’Oscar: c’est son année, incluant 21 Grams. Au-delà des performances, le film dose si bien ses éléments qu’il devient le meilleur d’Eastwood après Unforgiven, posant lui aussi des questions sur la difficulté de vivre avec d’anciens péchés. Tôt ou tard, ils reviennent nous hanter.
3 – La Face cachée de la lune, de Robert Lepage
Trésor national ou multidisciplinaire ostentatoire et agaçant? Robert Lepage divise les camps cinéphiliques. Certains croient qu’il devrait s’en tenir à la scène (soupçons de jalousie). Pourtant, il creuse son sillon sur le grand écran avec brio. Son intelligence ludique et son regard unique font de La Face cachée de la lune une ouvre remarquable, un concert inouï d’idées si bien cimentées que les autres productions québécoises pâlissent devant tant d’inventivité. Il faut dire que notre surdoué ne se ménage pas: scénario (basé sur sa propre pièce), réalisation et interprétation des deux frères, dont l’un est en questionnement sur sa vie, à la suite de la mort de leur mère (Anne-Marie Cadieux). Avec ce cinquième film, on est à l’aise devant les préoccupations plastiques de Lepage, on se réjouit de le voir aborder une ouvre aux relents autobiographiques, faisant un pied de nez aux maintes facettes de sa production et de son être. L’émotion aussi est au rendez-vous, conciliant intellect et affect, ce qui lui manquait auparavant. En grand expérimentateur, il réussit sur tous les plans et grave en mémoire des images indélébiles, une musique fantastique et le désir d’analyser l’immensité de ses métaphores. Il devient, indiscutablement, notre ambassadeur dans le reste du monde. Joyeux voyage cosmique.
4 – Kill Bill volume 1, de Quentin Tarantino
5 – Elephant, de Gus Van Sant
Séverine Kandelman
1 – Mystic River, de Clint Eastwood
Dernier opus du réalisateur Clint Eastwood (Breezy, Bird, Midnight in the Garden of Good and Evil…), d’après un roman de Dennis Lehane. Un film tourmenté nous entraînant aux confins du tragique par une mise en scène classique, impeccable. À travers une enquête policière captivante, Eastwood porte un regard lucide sur la perte de l’innocence, les démons du passé qui gangrènent l’être. Un film austère qui cultive l’énigme, n’ayant de cesse de montrer le caractère obscur de la vérité. Les acteurs sont tous fabuleux. Qu’il s’agisse de Sean Penn, en malfrat anéanti par l’assassinat de sa fille, de Tim Robbins, en figure absente, personnage à tout jamais marqué par le viol dont il a été victime enfant, ou de Kevin Bacon, détective rigoureux et froid. Portrait noir d’une humanité mal en point.
2 – En attendant le bonheur, d’Abderrahmane Sissako
On change ensuite de registre et de couleur avec En attendant le bonheur (Louve d’Or FCMM 2002, Prix FIPRESCI Cannes 2002) du réalisateur Abderrahmane Sissako (La Vie sur terre). Dans un village mauritanien saisi par des images somptueuses, toutes d’ocre et de bleu, un jeune homme rêve de partir vers l’Europe, un petit garçon suit son vieil ami pour devenir électricien, une fillette apprend les mélodies de son pays. Explorant la question de l’exil, du mythe de l’Ailleurs, ce film nous fait plonger dans un paysage où le temps semble arrêté. On se laisse alors bercer par le bruit du vent sur les dunes sahariennes. Un hymne sublime à la rêverie.
3 – Gaz Bar Blues, de Louis Bélanger
Faisons maintenant escale chez nous, puisqu’il faut bien parler de ce renouveau du cinéma québécois avec l’attachant Gaz Bar Blues, de Louis Bélanger (Post-Mortem). De la sensibilité des dialogues à la tendresse d’une relation père-fils, jusqu’à l’enchevêtrement judicieux de la petite et de la grande Histoire… tout sonne juste dans cet univers. Au rythme des sons mélancoliques du blues, Bélanger nous offre la chronique d’une petite station-service d’un quartier populaire, ayant du mal à affronter la concurrence des grands. Un film simple, profondément humain.
4 – Son frère, de Patrice Chéreau
5 – American Splendor, de Robert Pulcini et Shari Springer Berman
Manon Dumais
1 – Elephant, de Gus Van Sant
Inspiré de la tuerie de Columbine, Elephant raconte de façon percutante les derniers instants d’un groupe d’élèves d’une école secondaire de l’Oregon. Portrait fascinant de la jeunesse américaine à la manière d’une brillante mosaïque spatiotemporelle, cette réalisation emprunte au cinéma-vérité pour illustrer sans complaisance un grave problème social. Avec Gerry, Elephant marque le retour en force d’un grand cinéaste que l’on croyait pour toujours confiné à tourner des films bien-pensants sans imagination. D’un naturalisme confondant.
2 – Lost in Translation, de Sofia Coppola
Avec finesse, sensualité et une lenteur volontaire, la réalisatrice du sublime The Virgin Suicides filme l’ennui et le désarroi de deux êtres en crise existentielle lors d’un séjour à Tokyo: lui (suave Bill Murray) est un acteur sur le déclin; elle (formidable Scarlett Johansson), une jeune épouse négligée par son photographe branché de mari. Photographie superbe, montage fluide, atmosphère à la fois zen et onirique; bref, une ouvre aussi mûre qu’envoûtante.
3 – Mystic River, de Clint Eastwood
Jonglant avec l’un de ses thèmes de prédilection, la vengeance, Clint Eastwood signe l’un de ses meilleurs films depuis Unforgiven. Fort d’une intrigue policière captivante, de sa psychologie fouillée et de sa morale déroutante, le sombre Mystic River séduit par sa mise en scène discrète qui laisse la part belle aux acteurs, dont le merveilleux Sean Penn. Un grand cru.
4 – L’Homme sans passé, d’Aki Kaurismäki
5 – 21 Grams, d’Alejandro González Iñárritu