In America : Théâtre d'une vie
Cinéma

In America : Théâtre d’une vie

Bien heureux pour nous que Jim Sheridan ait commencé sa carrière au théâtre, car son dernier film, In America, aurait bien pu glisser vers le mélo sirupeux tant les thèmes qu’il convoque sont éculés. C’est qu’avec sa grande qualité de directeur d’acteur (rappelez-vous My Left Foot et In the Name of the Father), il évite les pièges de l’anecdotique, de la simple tranche de vie banale quand il parle de cette jeune famille d’Irlandais qui s’installe, au petit bonheur la chance, dans le New York des années 80. Si Barry Levinson parlait de ses racines dans Avalon, Sheridan, aidé de ses deux filles (Naomi et Kirsten) au scénario, puise dans le même filon semi-autobiographique. On reconnaît l’effet miroir dans ce père, Johnny (Paddy Considine, 24 Hour Party People), accompagné de ses deux gamines (Mary et Anna Bolger) et de sa femme Iris (Samantha Morton, Morvern Callar). L’argent fait évidemment défaut à ce couple qui a perdu un fils avant de faire le grand saut vers l’Amérique.

Respectant l’unité de temps (cela se passe sur un an approximativement) et de lieu (un appartement miteux dans un immeuble peu recommandable), le réalisateur se concentre sur les tribulations de ces gens souquant ferme pour s’en sortir. Johnny cherche des contrats d’acteur, sa femme assure le pain quotidien en travaillant dans une crèmerie pendant que les deux enfants s’émerveillent de la métropole. Ajoutez à cela un voisin, Matéo (Djimon Ounsou), de prime abord menaçant, un artiste torturé et hurleur, et vous aurez un drame simple, rempli des meilleures intentions. Et le tour de force de Sheridan consiste à nous placer à proximité des émotions, à nous faire ressentir toute la gamme des angoisses du père et de la mère, et cela, par les yeux de l’aînée, qui narre le film tout en le documentant par le biais de son précieux caméscope. Or, l’esthétique et la réalisation s’estompent dans la transparence, Sheridan préférant ses acteurs, et on goûte à son entière affection pour le jeu. Beau cadeau pour ses comédiens qui lui rendent la pareille, puisqu’ils excellent. On craque particulièrement pour les sours Bolger, miracle de casting, empathie immédiate. Des bouilles parfaites, contribuant au succès du film. À travers cette misère, on invoque le personnage d’E.T. de Spielberg d’une façon fort séduisante, considérant le recul. Comme si Sheridan savait jusqu’où il pouvait tirer l’élastique de la mièvrerie. Vrai aussi que tout ne fonctionne pas parfaitement: par exemple, on aurait voulu en savoir plus sur Matéo, plus sur cette envie d’émigrer aussi loin. De fait, le récit ne sert que de résolution psychologique, que de baume appliqué sur la mort du fils. Cependant, on assiste à du cinéma honnête, franc et direct. Pour ceux qui préfèrent les histoires à échelle humaine sans trop de flaflas, venant pincer les cordes sensibles, mais sans toutefois nous jouer de la harpe immodérément. Par contre, on se serait passé d’une énième ouverture sur le drapeau américain, le titre In America suffisait.

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