Claude Miller : La petite Lili
La Mouette de Tchekhov revue pour le milieu du cinéma: voilà ce que nous propose cette fois CLAUDE MILLER (Garde à vue, L’Accompagnatrice, Le Sourire, La Classe de neige…), réalisateur chevronné parlant de son métier avec humanisme et vivacité.
Julien (Robinson Stévenin), jeune poète maudit, s’apprête à présenter son premier court-métrage mettant en scène sa muse et amoureuse, la jolie Lili (Ludivine Sagnier). Dans une vieille grange transformée en salle de projection, tout l’entourage s’est réuni pour l’occasion: les domestiques, leur fille Jeanne-Marie (Julie Depardieu), Lili, l’oncle Simon (Jean-Pierre Marielle), le médecin de campagne (Yves Jacques), Mado (Nicole Garcia), la mère de Julien, et son compagnon Brice (Bernard Giraudeau), cinéaste de renom auquel le jeune homme voue un certain mépris. Mais sur sa chaise de circonstance, Mado s’agite. Elle a du mal à supporter le propos romantico-profond du film de son fils. Hors de lui, Julien met fin à la projection. Au repas de famille éclate alors une joute explosive entre les deux générations de réalisateurs. Julien défend sa vision puriste du septième art, tandis que Brice parle des composantes à accepter si l’on veut voir son film sur grand écran. Loin d’épauler Julien, Lili, petite arriviste aspirant à une carrière d’actrice, se laisse envoûter par le regard séducteur de Brice. Voyage doux-amer aux confins de la grande famille du cinéma…
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’adapter La Mouette de Tchekhov?
En fait, ce projet est venu à moi de manière plus ou moins accidentelle. Il y a une dizaine d’années, je cherchais une citation que je croyais tirée de La Mouette. Je me suis donc replongé dans la pièce à la recherche d’un passage que j’ai finalement trouvé ailleurs. À ma relecture de ce texte, que je connaissais pourtant bien et qui n’était pas mon préféré de Tchekhov, j’ai soudain été frappé. J’ai eu l’impression que c’était toute ma vie et celle de mes amis qui était racontée là… J’ai ressenti les choses de façon terriblement personnelle, contemporaine, et je me suis dit qu’il devait y avoir moyen de transposer l’ensemble dans le milieu du cinéma aujourd’hui.
Seriez-vous d’accord pour dire qu’il s’agit de votre film le plus personnel?
Oui, c’est probable. C’est certainement dans ce film qu’il y a le plus de proximité avec des choses que j’ai vécues. Mais c’est vrai aussi pour d’autres films. Je pense à La Meilleure Façon de marcher, Le Sourire, L’Effrontée… Les personnages de ces films vivent tous des émotions, des sensations que j’ai pu connaître. Or, dans La Petite Lili, il y a en plus le cadre du métier.
Peut-on alors avancer qu’il y a un peu de vous dans les personnages de Julien et Brice, qui vous incarneraient à différentes étapes de votre vie?
Forcément, dans la mesure où j’ai été un jeune cinéaste et que je suis maintenant un nouveau jeune cinéaste (rires)… Je me suis référé à ce que j’ai pu ressentir à l’époque et à ce que je ressens aujourd’hui.
Aussi, pour vous, votre film relève-t-il davantage d’un clivage pouvant exister entre différentes visions du cinéma, à savoir l’artistique versus le commercial, ou plutôt de la maturation intellectuelle qui se fait avec le temps, de l’apprentissage des concessions qu’on doit faire si l’on veut voir son film à l’écran?
Je ne pense pas qu’on doive faire des concessions. Je pense simplement que c’est un peu fatal. Je ne veux surtout pas porter de jugement sur qui a raison et qui a tort dans les conflits opposant Brice et Julien. J’ai pris garde qu’on ne sache pas de quel côté je me situais, parce que cela aurait été malhabile de ma part. Mais en même temps, je ne suis très honnêtement d’aucun côté. J’ai simplement essayé d’être le plus réaliste possible. Je pense qu’il y a des choses à prendre des deux côtés.
En deuxième partie du film, Julien réalise un premier long-métrage où il met en scène sa propre vie. Il parvient ainsi à survivre, à trouver un sens, contrairement au héros de la pièce de Tchekhov qui finit par se suicider. Est-ce parce qu’en remodelant l’éphémère, le cinéma se fait plus grand que la vie?
Vous savez, j’ai mis 10 ans à réaliser ce film; j’en ai fait d’autres entre-temps parce que je ne pensais pas pouvoir être fidèle jusqu’au bout à Tchekhov. J’avais la sensation que si je transposais la pièce telle quelle, je serais insincère par rapport à ce que je voulais faire. Et puis je pensais: Tchekhov lui-même, après avoir fait se suicider son personnage, a dû se faire un repas, se coucher auprès de sa femme. En somme, il a survécu. Je trouve cela intéressant parce que, comme tout le monde, j’ai eu moi aussi des souffrances, des malheurs, des trahisons… Si j’ai survécu, c’est peut-être parce que j’ai eu le privilège d’être cinéaste et de pouvoir m’exprimer à travers mes films. De même en est-il de Julien qui, en mettant en scène ses souffrances, ses névroses, parvient à survivre, à la manière d’un peu tous les artistes… Voilà ce que j’ai voulu montrer en trahissant le dernier acte de La Mouette.
Et Ludivine Sagnier dans tout ça? En la choisissant pour le rôle de Lili, aviez-vous en tête de jouer sur l’image d’étoile montante du cinéma qu’elle incarne justement à l’heure actuelle?
C’est drôle parce que ce n’était pas mon idée spontanée, Ludivine. J’ai pensé à beaucoup de jeunes actrices avant elle. Et puis à l’époque, on commençait à peine à en parler. Elle venait de faire 8 Femmes de François Ozon, mais elle n’avait pas encore tourné Swimming Pool. Et puis je l’ai rencontrée, elle a fait les mêmes essais que les autres, et elle m’a emballé… Quelque part, c’était aussi ma chance que les choses qui traversaient le cœur et l’esprit de la petite Lili soient en train de lui arriver. Ludivine en était un peu gênée, et en même temps ça a dû la nourrir. Dans le film, elle incarne le mauvais rôle, mais j’ai toujours tendance à défendre son personnage. Je sais bien que Lili peut paraître arriviste, calculatrice… mais vouloir être comédienne, c’est quelque chose de tellement violent. J’aime beaucoup Lili, parce qu’elle est aspirée par une passion dévastatrice… et j’ai tendance à avoir énormément d’indulgence pour les passions humaines.
Cette expérience, Claude Miller la traduit magnifiquement bien dans ce dernier opus. Empreint de grâce, de sensibilité, La Petite Lili nous ravit par la finesse des dialogues, l’interprétation impeccable des acteurs, avec une mention particulière à Julie Depardieu en amoureuse blessée. Sous le regard passionné du réalisateur, la mouette reprend son envol…
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