Taking Sides : Nazi land
Cinéma

Taking Sides : Nazi land

Premier film du vétéran réalisateur hongrois Istvan Szabo dont le scénario ne soit pas de sa main, Taking Sides – Le Cas Furtwängler est une confrontation fascinante entre deux visions du fait nazi. L’accusation et la défense d’un crime global.

L’instrument qu’utilise le criminel a-t-il la même responsabilité que le criminel lui-même? C’est un peu la question que pose Taking Sides – Le Cas Furtwängler d’Istvan Szabo. À l’image d’autres œuvres portant sur le même sujet sorties récemment – on pense entre autres ici à Amen de Costa-Gavras et Laissez-passer de Tavernier -, le film du réalisateur hongrois prend le pari d’exposer le très complexe problème de la part de responsabilité de chacun sous le régime nazi. Et comment rester objectif devant l’énormité des crimes de cette dictature?

À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, chacun des camps victorieux se charge de purger l’Allemagne de la vermine nazie et se propose donc, en prenant tous les moyens possibles, d’aller brûler jusqu’à la racine le mal que l’on croit être le lot de chaque Allemand. Le major américain Steve Arnold (Harvey Keitel) prend au pied de la lettre ces directives lorsqu’il est chargé d’enquêter sur le rôle (on disait alors "dénazifier") de l’un des plus grands chefs d’orchestre de l’époque, le directeur du Philharmonique de Berlin Wilhelm Furtwängler (Stellan Skarsgard). Doué et adulé de tous dans son pays, et aussi des Soviétiques qui veulent lui mettre la main dessus pour des questions purement artistiques, Furtwängler s’est néanmoins compromis avec des hauts dirigeants du régime nazi durant la guerre, devenant le pion du jeu de pouvoir des officiels et le trophée que certains aimaient bien exhiber à des fins de propagande.

Comme il s’agit de l’adaptation d’une œuvre théâtrale (Taking Sides de Ronald Harwood, qui signe ici le scénario) et non d’un film purement historique (bien que basé sur des faits réels), le long métrage de Szabo se concentre essentiellement sur les deux protagonistes principaux (l’Américain Arnold et l’Allemand Furtwängler) et sur autant de façons de voir ces événements troublants. Car ce sont bien deux conceptions du monde et de la réalité qui s’affrontent ici, la première incarnée par cet officier américain ivre de justice vengeresse, aussi obstiné que sanguin dans ses entretiens à la psychologie pour le moins musclée. Face à lui, c’est un Furtwängler totalement dépassé par les événements qui cherche encore à comprendre la réelle portée de ses actions mais qui explique son comportement par son amour de l’art, qu’il décrit comme étant son moyen de résistance face à l’obscénité du temps. Mais même soutenu par l’officier de liaison d’Arnold (Maurice Bleibtreu) et sa secrétaire (Birgit Minichmayr), le chef allemand n’est pas celui qui a l’avantage dans cette longue confrontation. Dans leurs rôles respectifs, Keitel et Skarsgard se devaient d’être aussi intenses que solides, et ils le font merveilleusement. Surtout Keitel, dont le physique de bœuf sert parfaitement cet Américain sans doute inculte et colérique mais terriblement juste avec lui-même et ce qu’il croit être la justice.

La grande qualité de Szabo dans Taking Sides, une œuvre subtile et terriblement pertinente, c’est qu’il pose des questions majeures et douloureuses mais qu’il n’a surtout pas la prétention de vouloir y répondre. Aucun des personnages ne semble d’ailleurs avoir de réponse. Sauf peut-être Furtwängler lui-même, dans la toute dernière et très forte image du film…

Voir calendrier Cinéma Exclusivités