Rencontre Scott Smith : Falling Angels
Adaptation du roman de Barbara Gowdy, Falling Angels de Scott Smith brosse un tableau à la fois caustique et tendre de la fin des années 60 à travers le quotidien d’une famille dysfonctionnelle. Élevées par un père tyrannique (solide Callum Keith Rennie) et une mère neurasthénique (émouvante Miranda Richardson), trois jeunes filles d’une banlieue de Toronto tentent tant bien que mal de s’émanciper. Éprise d’un hippie, la rebelle Lou (Katharine Isabelle) découvre le LSD, alors que la coquette Sandy (Kristin Adams) vit une liaison avec un homme marié (l’humoriste Mark McKinney) qui lui réserve quelques surprises; pendant ce temps, la timide Norma (Monté Gagné), obsédée par la mort de son frère aîné décédé en bas âge après être tombé dans les chutes du Niagara – accident ou geste volontaire de la mère? -, développe une certaine fascination pour la nouvelle voisine.
Pourquoi avez-vous tourné un deuxième film sur le passage à l’âge adulte? "On me pose souvent la question, explique le jeune réalisateur, mais je ne considère pas Falling Angels ni Rollercoaster comme tels, en dépit des personnages adolescents et de l’intensité des émotions qu’ils ressentent. Pour moi, mon premier film traitait surtout de l’adolescence et de l’homophobie, alors que l’autre porte sur une famille désunie, tout en étant une allégorie de la société des années 60." Bien que la scénariste Esta Spalding ait préservé l’humour mordant propre au roman de Gowdy, une nostalgie douce-amère émane de Falling Angels. Limité pour des raisons budgétaires, Scott Smith illustre habilement la fin d’une époque en l’évoquant par une multitude de petits détails: "Ne venant pas de cette époque, je possède une certaine objectivité. J’ai passé un an à chercher de la musique, des pubs et des bouts d’émissions de l’époque, car la télé devenait le sixième membre de la famille. J’aimais l’idée d’entendre constamment une publicité joyeuse alors que l’atmosphère de la maison s’alourdit sans cesse."
Vous semblez trop jeune pour avoir la nostalgie des années 60, mais ont-elles une signification pour vous? "En fait, je suis né pendant le film! raconte Scott. C’est-à-dire entre Noël 69 et le jour de l’An 70. C’est sûr que ma fascination pour cette époque, 1950-60, a augmenté pendant le tournage du film. Chaque génération réagit en fonction de la génération précédente, et ces deux décennies ont extrêmement réagi face à celles qui les avaient précédées, surtout grâce à l’avènement de la télévision qui leur offrait une tout autre image de la société. Je crois donc que Falling Angels traite autant de la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire des horreurs de cette guerre sur lesquelles on voulait ou non fermer les yeux, que de la mort des années 60. Pour moi, il s’agit de la culture de l’après-guerre, de la guerre froide… et bien sûr de la télévision." Le conflit générationnel prend racine dès la tendre enfance des sœurs Field. Enfermée dans l’abri antinucléaire, Lou se souvient du pénible séjour qu’elle y a fait avec sa famille sous les ordres du père, visiblement ébranlé par son expérience de combattant à la guerre de 39-45. C’est dans ce climat de paranoïa inspiré par la peur des Soviétiques que Lou puise sa soif de liberté qu’elle exprimera plus tard avec vivacité et maladresse. C’est également lors de cet épisode que les parents démontrent leur manque de foi en l’avenir en s’accrochant désespérément au passé. Extension de l’abri antinucléaire, la maison familiale que le père souhaiterait blindée à la nouveauté sera par la suite le théâtre de la déchéance des parents qui assisteront, impuissants, à l’évolution des mœurs par le biais de la télévision. Coup d’œil défaitiste, voire cruel, sur une génération qui a manqué le train, doublé d’un regard complice sur la jeunesse qui allait changer le monde, Falling Angels s’avère un modeste drame familial gentiment tordu comme on en rencontre trop souvent dans le cinéma canadien. En revanche, l’humour noir de Gowdy et le jeu naturel des trois jeunes actrices en font un film qu’il fait plaisir de découvrir.
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