The Fog of War : Leçons de guerre
Un Oscar, c’était à peu près tout ce qui manquait au réalisateur Errol Morris, déjà abondamment encensé depuis son premier documentaire, Gates of Heaven, en 1978. Aujourd’hui, il fait à nouveau la preuve de la maîtrise exceptionnelle de son art avec The Fog of War, un film qui dissipe quelques brouillards…
La fin de la Première Guerre mondiale devait célébrer la fin de toutes les guerres, mais depuis l’armistice de 1918, elles n’ont cessé de s’accumuler, de plus en plus assassines. Est-ce à dire que nous ne retenons rien de nos erreurs passées? Voilà la question principale qui sous-tend The Fog of War. Le film se déploie en 11 leçons sur la guerre (les retiendra-t-on?) prodiguées par le très controversé Robert S. McNamara. Désormais âgé de 87 ans, McNamara possède une longue expérience de la guerre: soldat et statisticien pendant la Deuxième Guerre, secrétaire à la Défense américain admiré lors de la crise des missiles à Cuba et ensuite plongé dans un cauchemar sans nom au Viêt Nam. Il nous raconte l’Histoire de l’intérieur et cela s’avère éminemment fascinant. Nous apprenons ainsi avec stupeur, images d’archives à l’appui, que le Japon était déjà presque entièrement incendié avant d’être anéanti par deux bombes atomiques. La première leçon s’intitule "Ressentir de l’empathie pour l’ennemi", et c’est celle-là qui sauva le monde d’une guerre nucléaire avec les Soviétiques, mais qui fit gravement défaut au Comité de la Défense lorsqu’il fut question des Nord-Vietnamiens.
À travers ses propos et ses confidences, McNamara nous apparaît beaucoup plus complexe qu’on ne nous le laissait croire, se situant quelque part entre Machiavel et le Dalaï-Lama… Il se questionne sur la nature humaine et sur d’importants enjeux moraux: "Quelle est la quantité de mal que nous pouvons faire avant d’atteindre le bien?", ou encore: "Si nous avions perdu la Deuxième Guerre, nous aurions été jugés pour crimes de guerre." Morris tente de lui faire avouer son implication dans l’embourbement des troupes américaines au Viêt Nam, mais c’est un terrain sur lequel l’ex-secrétaire refuse d’aller. Il est sans doute trop douloureux d’admettre sa responsabilité dans la mort de 58 000 soldats américains tués au combat et d’encore plus de civils vietnamiens… Il se contente d’affirmer, le regard triste, qu’il a servi son président, admettant au passage que l’histoire aurait été tout autre si Kennedy n’avait pas été assassiné.
Morris a fait un superbe travail de recherche afin de dénicher des images et bandes sonores d’archives qui n’avaient jamais été utilisées auparavant. Ajoutons la musique efficace de Philip Glass qui rend parfaitement tangible la tension de la guerre et on obtient un documentaire d’une rare qualité. The Fog of War est un film d’une grande pertinence qui nous renvoie inévitablement à nos politiques actuelles. Il nous restera longtemps en tête.
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