Dogville : Jeux de société
Cinéma

Dogville : Jeux de société

À Cannes, aux journalistes américains lui reprochant d’avoir tourné un film sur les États-Unis sans y être jamais allé, Dancer in the Dark qui dénonçait avec virulence la peine de mort, LARS VON TRIER avait répondu qu’il en savait plus sur l’Amérique que les Américains en connaissaient sur Casablanca lorsqu’ils ont tourné Casablanca. Irrité, le cinéaste danois a eu envie de tourner d’autres films sur les États-Unis. Avec Dogville, il signe un portrait grinçant de cette société.

Une vue en plongée d’une surface noire où l’on distingue des gens qui s’affairent autour de quelques meubles. La caméra s’approche. Des mots écrits à la craie blanche sur le parquet indiquent le nom des endroits; même le chien que l’on entend japper est dessiné à même le sol. On dirait un jeu de société. C’est Dogville, petite bourgade perdue de l’Amérique profonde en pleine crise économique de 1929, qui deviendra bientôt la scène d’un jeu cruel entre une victime et ses bourreaux.

Porté par la voix de John Hurt, Dogville, divisé en neuf chapitres et un épilogue, relate l’histoire de Grace (Nicole Kidman), trop belle fugitive trouvant refuge à Dogville où l’aspirant écrivain Tom Edison (Paul Bettany) lui proposera un étrange marché. Afin de pouvoir demeurer au village, Grace dispose de deux semaines pour se faire aimer des habitants. Les secondant dans leurs tâches quotidiennes, la jeune femme ne tarde pas à devenir indispensable au bien-être de tous. Cependant, en apprenant que Grace est vraisemblablement dangereuse, les bonnes âmes de Dogville se corrompent et changent d’attitude à son égard, jusqu’à abuser d’elle sans scrupule. Qui aura raison de l’autre lors du jugement dernier?

Inspiré d’une chanson de Brecht et Weill, Pirate Jenny, qui relate le désir de vengeance d’une pauvre jeune femme, Dogville déconcerte dès ses premières images. Une fois de plus, l’instigateur de Dogma 95 repousse encore plus loin les limites du cinéma. Au fait, est-ce bien du cinéma ou du théâtre filmé? Pour Von Trier, il s’agit bien de cinéma qui prend sa source dans le théâtre, notamment dans les pièces de théâtre télévisées des années 70, tel le Nicholas Nickleby de la Shakespeare Company. Également, avec son décor dépouillé et l’interprétation volontairement monocorde des comédiens, Dogville renvoie au théâtre pauvre de Grotowski et à l’effet de distanciation brechtien. Et pourtant, plus le film avance, plus on a l’impression que Von Trier retourne aux origines du cinéma, avant que celui-ci ne croule sous les effets spéciaux conçus à l’ordinateur. Mais pour arriver à goûter pleinement cette œuvre magistrale, il faudra en accepter les conventions. Une expérience cinématographique incontournable.

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