Ce qu’il reste de nous : Tibet, carte postale pour touristes?
Décidément, le Tibet est à l’honneur ces temps-ci. Au moment où le dalaï-lama est de passage au pays, deux films portant sur le Tibet sortent coup sur coup. Après le pas très convaincant The Wheel of Time, dernier-né de Werner Herzog, voilà qu’arrive sur nos écrans un autre film tourné sur le "toit du monde". Celui-ci, intitulé Ce qu’il reste de nous et réalisé en collaboration par Hugo Latulippe (Bacon, le film) et François Prévost (également un ancien de La Course destination monde), est cependant beaucoup plus achevé. Il aura fallu huit ans et autant de voyages au Tibet avant qu’il ne soit terminé.
Le film nous offre un dosage équilibré d’information pertinente et de propos intimistes puisqu’il nous est raconté à travers la voix de Kalsang Dolma, une Tibétaine d’origine née dans un camp de réfugiés en Inde, puis élevée au Québec. La jeune femme, qui franchit les frontières de son pays d’origine pour la première fois, transporte, à l’insu des autorités chinoises, un message filmé du dalaï-lama. Dans le plus grand secret, grâce à un écran portatif, l’équipe parcourt tout le territoire tibétain afin de faire entendre au peuple les paroles d’espoir et de persévérance de leur chef spirituel et politique. Des familles entières, des communautés de moines bouddhistes, des prostituées, des paysans se massent alors autour du petit écran et font ensuite part de leurs réflexions. Cela donne lieu à des moments bouleversants d’émotion. Les Tibétains ont enfin un contact avec leur chef en exil, porteur de leur espoir, un Prix Nobel de la paix considéré par la Chine comme une menace à la sécurité nationale. Les personnes âgées, entre autres, ne peuvent retenir leurs larmes et expriment leurs souhaits de bonheur pour chaque être vivant sur Terre. Incroyable témoignage venant de gens soumis à un génocide depuis plus de cinq décennies…
Joints par téléphone alors qu’ils étaient à Toronto dans le cadre du festival de films documentaires Hot Docs, les deux réalisateurs, résolument engagés, n’ont pas tellement envie de parler de leurs démêlés avec les autorités chinoises lors du tournage. Ce qu’ils veulent, c’est que leur message d’urgence concernant la disparition du Tibet (qui ne figure déjà plus sur les cartes du monde) soit entendu de tous, y compris des instances politiques canadiennes. "Ce pays est en train de disparaître au profit d’une puissance militaire sous les yeux de la communauté internationale qui n’agit pas, de peur de perdre ses intérêts économiques en Chine, affirme François Prévost. Cela pose des questions fondamentales quant à l’avenir de la communauté humaine."
Les réalisateurs ont voulu briser l’image idéalisée du Tibet qu’ont trop souvent les Occidentaux. "Le Tibet est un très beau pays, c’est vrai, acquiesce Hugo, mais on oublie que c’est un pays d’une tristesse infinie." "C’est troublant, poursuit François, parce que la plupart des Tibétains sont des gens souriants. Ils sont comme ça, de par leur ascendance bouddhiste. Mais c’est trompeur parce que la réalité de leur drame est bien réelle. Et si rien n’est fait, dans deux ou trois générations, la culture tibétaine extrêmement riche aura complètement disparu."
Vous devez être prévenus: les projections du film se font sous haute surveillance, même à Cannes où il sera présenté dans le cadre de la Semaine de la critique, afin qu’aucune image de l’écran ne soit captée puisque les Tibétains qui ont choisi de parler ont mis leur vie en danger. Un courage que nous nous devons d’honorer en allant voir ce très beau film qui va beaucoup plus loin que la plupart des autres documentaires sur le Tibet.
Voir calendrier Cinéma Répertoire