57e Festival de Cannes : Les intermittences d'un festival
Cinéma

57e Festival de Cannes : Les intermittences d’un festival

À quoi ressemble un festivalier? Sac en bandoulière plein à craquer, un bras chargé de dossiers de presse, le portable vissé à l’oreille, il court d’une salle à l’autre en souhaitant ne pas manquer l’éventuelle Palme d’or. Afin de tenir le coup, il attrape au vol un sandwich et un café bien serré. Pas le temps de courir après les stars! Le glamour, il laisse ça aux riches Cannois qui ont les moyens – ou les bonnes relations – de se procurer des invitations aux soirées tapis rouge. Sur les rotules, le festivalier ne se plaint pas… après tout, n’est-il pas là pour se gaver de la crème du cinéma? Mais au fait, où se cache-t-elle, celle-là?

Animée par une Laura Morante morte de trac, la soirée d’ouverture a été marquée par l’apparition de deux intermittentes lilloises brandissant bien haut le poing, suivies de 12 autres arborant le mot "négociation" dans le dos – disons que ça mettait un peu de vie dans ce défilé de mode, pardon, de stars au sourire figé. Certes, le Festival aura été une tribune idéale pour les intermittents qui, à la suite d’une manifestation et d’une conférence de presse, auront convaincu le ministre de la Culture de revoir, en partie, la réforme de l’assurance-chômage. Alors que les employés du Carlton font la grève, la planète cinéma continue de tourner à vive allure. Pourtant, à la mi-temps du Festival, toujours pas de coups de foudre à l’horizon.

On aime… avec modération
Jouant habilement à brouiller les frontières entre la fiction, le mensonge et la vérité, Pedro Almodovar aborde de façon très personnelle le thème délicat de la pédophilie par le biais d’une histoire d’amour très noire. Toutefois, La Mala Educacion n’arrive pas à égaler le niveau de ravissement de Parle avec elle. Très attendu, Fahrenheit 9/11 de Michael Moore ne s’avère qu’un habile montage dénonçant avec humour le président Bush. Que dire d’Old Boy de Park Chan-Wook? Bien réalisé, un rythme d’enfer, un Benicio Del Toro asiatique (Choi Min-Sik), mais beaucoup de violence et un scénario alambiqué. C’est Tarantino qui doit adorer! Un prix pour la mise en scène? Tapant gentiment sur les petits travers des Suisses et frappant sur la gueule des Français, Bienvenue en Suisse, premier long métrage de Léa Fazer, ne casse pas la baraque et abuse des lieux communs, mais nous permet de voir un Vincent Pérez que l’on ne croyait pas si drôle. Le public a beaucoup ri, mais pas nos sympathiques confrères suisses… Amusante surprise que Cinéastes à tout prix de Frédéric Sojcher, documentaire sur trois Ed Wood de la Wallonie. Ils sont fous, ces Belges! Malgré son lyrisme, Notre musique de Jean-Luc Godard nous a laissé sur notre faim, de même que La femme est l’avenir de l’homme de Hong Sangsoo, trop lourd. Rappelant Platform de Jia Zhang-ke, Passages de Yang Chao (Un certain regard) suit les traces de deux lycéens qui traversent la Chine à la recherche d’un boulot: superbement photographié et très contemplatif. Selon la presse française, il semble de bon ton d’adorer le cinéma argentin, à tel point que plusieurs prédisent la Palme d’or à La Nina Santa de Lucrecia Martel et le Prix d’interprétation féminine à la jeune Maria Alche. Selon nous, trop sage et trop floue, cette histoire de nymphette troublée par un médecin ayant un penchant pour les lolitas.

Ce qui nous amène à Comme une image d’Agnès Jaoui, qui met en scène Lolita (Marilou Berry, une belle révélation), fille de 20 ans mal dans sa peau qui recherche l’approbation de son père (Jean-Pierre Bacri, suave en tyran domestique). Mise en scène élégante, sens de l’observation aigu et dialogues finement ciselés: de loin notre préféré.

Pour se changer du strass et des paillettes de la Croisette, on lorgne du côté de la Semaine de la critique. En guise de film d’ouverture, L’Après-midi de monsieur Andesmas de Michelle Porte respecte le rythme et la musicalité de Marguerite Duras; toutefois, cette rencontre au sommet entre Michel Bouquet et Miou-Miou en a lassé plus d’un. Espérons que le documentaire Ce qu’il reste de nous d’Hugo Latulippe et François Prévost connaisse plus de succès.

Alors là, ça va pas
Brad Pitt a ébranlé la Croisette de sa présence, mais on ne peut pas en dire autant de Troy de Wolfgang Petersen, qui en met plein la vue tout en dénaturant l’œuvre d’Homère: puristes, s’abstenir! À la représentation de La vie est un miracle d’Emir Kusturica, le public a afflué vers la sortie: trop carnavalesque. À tout de suite de Benoît Jacquot raconte une lassante histoire d’amour entre une étudiante (insupportable Isold Machin qui, dit-on, joue déjà aux grandes stars en envoyant les journalistes lire le dossier de presse) et un cambrioleur. Seule la photo noir et blanc est louable. Mi-romance, mi-fable, Sud Pralad d’Apichatong Weerasethakul a failli avoir raison de notre patience; ça ronflait et huait dans la salle… Enfin, l’exaspérant L’Odore del sangue de Mario Martone, avec Fanny Ardant qui refait le coup de la femme fatale, ne nous a pas donné envie de remettre les pieds à la Quinzaine des réalisateurs. On a hâte de voir ce que nous réservent Wong Kar-Wai, Tony Gatlif et Olivier Assayas…