Twist : Garçons perdus
Cinéma

Twist : Garçons perdus

À quelques jours de la sortie de son premier long métrage Twist, Jacob Tierney, Montréalais de 24 ans résidant à Toronto, apprenait que Roman Polanski s’apprêtait à tourner un énième remake d’Oliver Twist: "Ah! Ce Roman! Toujours à me copier! C’est insupportable, blague Tierney, mais ça ne me met pas de pression parce qu’il n’a pas encore tourné et que mon film s’éloigne de l’univers de Dickens." De fait, même s’il reprend sensiblement le récit du grand écrivain britannique, le jeune réalisateur campe l’histoire dans l’univers de la prostitution mâle à Toronto et met l’accent sur un personnage secondaire du roman, Artful Dodger, qui devient Dodge (Nick Stahl), jeune Québécois qui initiera Oliver (Joshua Close) à la prostitution et aux drogues dures en l’amenant chez le proxénète Fagin (Gary Farmer). Poursuivi par son frère David (Tygh Runyan), Dodge sera confronté brutalement à son lourd passé familial lors d’une scène très éprouvante entre les deux hommes que Tierney a filmée avec juste ce qu’il fallait de pudeur pour éviter de tomber dans le scabreux. Sans vouloir mettre en doute le talent du touchant Close, ce dernier paraît bien pâle aux côtés de Stahl; il est vrai que Dodge s’avère un personnage beaucoup plus complexe que l’angélique Oliver. N’y aurait-il plus rien à tirer de ce gamin tant vu au cinéma, du muet au parlant, en passant par le dessin animé?

Pourquoi revisiter une histoire reprise des dizaines de fois au cinéma? "Ce que j’aime chez Dickens, c’est son intérêt pour les jeunes, leur exploitation et le travail. Ce que les jeunes ont toujours à vendre, c’est leur jeunesse. Je voulais traiter de l’abus sexuel chez les garçons, un problème énorme dont on ne parle pas beaucoup parce qu’on le confond avec

l’homosexualité. Je voulais également utiliser une œuvre dont tout le monde se souvenait, un classique de quelqu’un comme Shakespeare ou Sophocle; or sans l’avoir lu, tout le monde a vu au moins une fois la comédie musicale Oliver!", explique Tierney. Séduite par le scénario de Tierney et le personnage de Nancy, Michèle-Barbara Pelletier avoue franchement qu’elle n’a pas lu Dickens: "La raison pour laquelle j’ai accepté le rôle, c’est que c’était un tout petit personnage qui ne prenait pas beaucoup de place ni beaucoup de journées de tournage; comme j’étais enceinte, je me disais que ce serait parfait. C’est en voyant le film que je me suis rendu compte de son importance. La grossesse concrétise son côté maternel et la rend plus forte et à la fois plus vulnérable." C’est d’ailleurs la comédienne qui a suggéré d’inclure sa grossesse dans l’histoire afin d’étoffer son personnage. Prostituée chez Dickens, Nancy est une jeune serveuse qui distribue la drogue de son infâme mari Bill, que l’on ne verra jamais, aux jeunes garçons. S’étant prise d’affection pour Oliver, elle le poussera à aller vers le Sénateur (Stephen McHattie), homme riche qui croit reconnaître en Oliver le fils de sa fille. Un geste bienveillant qui aura des conséquences tragiques.

Glauque et tordue – et on ne peut plus canadienne! -, l’adaptation de Tierney bénéficie d’une photographie grisâtre et d’une lumière blafarde, lesquelles contribuent à donner à l’ensemble une allure mélancolique, voire sinistre. Par ailleurs, les sombres entrepôts désaffectés, la ville noyée sous la pluie ainsi que les costumes aux longues écharpes évoquent subtilement une misère bien victorienne telle que décrite par Dickens. Cependant, ne vous attendez pas à y retrouver l’optimisme de l’écrivain: "La vie est difficile, c’est dur d’être positif, nous ne sommes pas dans un monde qui donne espoir… Ces jeunes ont la mort dans les yeux, ils sont déjà morts parce qu’ils n’ont plus rien", conclut Tierney, qui signe pourtant une œuvre pleine de belles promesses.

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