Pierre Falardeau : Et les critiques, sti?
Cinéma

Pierre Falardeau : Et les critiques, sti?

En général, les journalistes sont invités à rencontrer le réalisateur après avoir vu son film. Or, dans le cas d’Elvis Gratton XXX: La Vengeance d’Elvis Wong, les critiques n’auront eu à se mettre sous la dent qu’une parodie du magazine Billboard et le single Mets ta main dans mes shorts, interprété par Julien Poulin, avant de s’entretenir avec la bête. Mauvais signe?

Massacré par la critique à la sortie d’Elvis Gratton XX: Miracle à Memphis, Pierre Falardeau a eu son ras-le-bol du cinéma et du cirque médiatique, deux mondes qu’il écorche méchamment dans cette nouvelle aventure du petit garagiste de Brossard qui voulait devenir aussi gros qu’Elvis. Au dire du réalisateur, bon nombre de journalistes y verront un règlement de compte, mais ils auraient tort de réduire La Vengeance d’Elvis Wong à un tel exercice.

Qu’avez-vous ressenti face au très mauvais accueil réservé à votre film?

« On s’est fait très, très sérieusement varloper par les critiques, explique le cinéaste, rencontré au bar situé juste à côté du Beaver Club, restaurant qu’il a célébré à sa façon dans Le Temps des bouffons. Habituellement, je m’en fous et ça me fait rire. Je n’ai jamais voulu faire de films pour plaire à la critique: je fais du cinéma populaire, pas du cinéma d’auteur. Sauf que cette fois-là, c’est comme si j’avais réalisé le plus mauvais film de l’histoire du cinéma mondial. À un moment donné, ç’a fini par m’affecter. À la fin de l’été, je me suis dit: « Tout d’un coup qu’ils ont raison, que je suis un trou de cul… » En jasant avec le monde, je me suis rendu compte que le public réagissait tout autrement. »

De fait, Elvis Gratton XX a généré des recettes de 3,7 millions de dollars, reléguant derrière lui de gros canons américains comme Star Wars Episode 1 et Austin Powers 2. Pourtant, devant le produit final, force était de constater que le monstre créé par Falardeau et son fidèle comparse Julien Poulin venait de leur échapper.

« Après un an et demi, je me suis demandé si j’allais faire un autre drame pour m’arracher les boyaux, avoue le réalisateur d’Octobre en s’allumant une énième cigarette. J’ai donc décidé de m’asseoir avec le gros Poulin pis de faire des farces plates. Je me disais qu’on allait rire, sauf que faire un film comique, c’est aussi dur que faire un drame. « Gratton, c’est un mélange de genres comiques, et certaines personnes ne sont pas capables de passer d’un genre à l’autre. »

Le résultat fait davantage penser au carnavalesque chez Rabelais qu’à l’esprit contestataire de Pasolini que vous citez dans le dossier de presse…

« Un de mes chums m’avait conseillé de me rappeler les écrits de Rabelais et la grossièreté de la commedia dell’arte lorsque les journalistes me traitaient de vulgaire; je trouvais donc que l’on me faisait une belle critique. Pasolini n’est qu’un élément dans tout ça. Ce ne sont pas ses films qui m’intéressent, mais son travail d’intellectuel, sa réflexion sur l’écrasement des cultures en Italie par les médias. Je m’intéresse au rôle des médias depuis toujours, je lis les éditoriaux de Richard Martineau, de Lysianne Gagnon, d’André Pratte… Je regarde aller les médias et je retrouve chez Pasolini des analyses très proches des miennes, mais plus intelligentes et plus articulées. Et je me dis: « Câlice, je suis intelligent, je pense la même chose que Pasolini! » »

Si l’on se fie au Billbob, vous dénoncez le phénomène de la convergence? « Ça parle de ça, mais de la convergence que l’on voit moins: celle de « Radio-Cadenas », du Parti libéral et de Power Corporation. Chaque fois que les journalistes parlent de convergence dans La Presse, ils dénoncent Pierre Karl Péladeau et ses petites chanteuses, mais ils ne parlent jamais d’eux-mêmes, de la personnalité de La Presse qui passe à Homier-Roy le matin… Je ne défends pas Péladeau, mais ce que j’haïs dans tout ça, c’est le fait de voir la paille dans l’œil du voisin, mais pas la poutre dans le sien. »

Que pensez-vous du fait qu’un jeune humoriste a perdu un contrat pour avoir écrit un sketch sur Péladeau?

« Un gars qui perd son job pour avoir fait un gag sur une petite chanteuse de Star Académie, ça m’émeut pas beaucoup. Par contre, qu’un gars comme Normand Lester perde son job parce qu’il s’est intéressé au scandale des commandites… Tabarnak! Ça, pour moi, c’est ben plus grave que Louis Morissette et ses farces plates! »

Vous avez songé à aborder le traitement de l’information sous la forme d’un film sérieux; pourquoi ne pas avoir tourné un documentaire sur le mode comique, comme Michael Moore, plutôt que de faire une comédie satirique? « Des fois, je suis jaloux de Michael Moore parce que je suis raciste! Même si c’est du cinéma de gauche, c’est encore américain, câlice! Ça me fait chier, parce que la pensée est pas juste aux États-Unis, elle est partout dans le monde! Quand j’entends les journalistes parler des grands documentaires de Michael Moore, je leur dis: « Tabarnak! Avez-vous déjà vu Pour la suite du monde de Perrault et Brault, les documentaires de Gilles Groulx, de Bernard Gosselin? » »

Parlant des journalistes, Falardeau se souvient que ceux-ci lui avaient reproché d’avoir réalisé un film désarticulé. Or, il semble que cela n’ait aucunement influencé sa façon d’écrire: « Dans le comique, l’important, ce sont les gags, pas le scénario. Et là, je suis sûr que je vais encore me faire accuser de faire du « n’importe quoi ». Je suis convaincu que l’histoire, c’est sans intérêt. On lit San Antonio pour le style, pas pour l’intrigue policière. Les histoires de Chaplin et de Tati sont bien simples, ce sont toutes des séquences comiques. Gratton, c’est des gags tissés dans une histoire où il devient le king d’un empire médiatique et tourne avec un réalisateur allemand un film d’auteur qui s’appelle La Vengeance d’Elvis Wong. Ce qui est l’fun, c’est que c’est un scénario où l’on peut rentrer n’importe quoi. Je peux avoir tort, mais je vais continuer à le faire pareil! »

Honnêtement, Elvis Gratton XXX servira-t-il à financer un film sérieux, comme Miracle à Memphis vous avait permis de tourner 15 février 1839 ? « Je ne sais pas qui avait sorti ça à l’époque, mais c’était pas vrai! J’ai rien d’intelligent à financer, et pour moi, Gratton, c’est intelligent! Tout ce que je fais, c’est pour bousculer les spectateurs, que ce soit avec Gratton ou avec Les Patriotes. » Qu’on se le tienne pour dit!