Emmanuelle Béart : Belle de jour

Peu après la dernière étape du tournage des Trois Mousquetaires qui aura lieu fin août à Montréal, dont elle garde un souvenir indestructible pour y avoir étudié de l’âge de 15 à 18 ans, Emmanuelle Béart enchaînera avec l’adaptation de Michel Deville du Fil à la patte de Feydeau et avec un film du réalisateur de No Man’s Land, Danis Tanovic. Sans cesse courtisée par les réalisateurs, l’actrice se voit dans l’obligation de mettre en veilleuse son désir de passer derrière la caméra. Pourtant, son emploi du temps chargé ne l’empêche pas depuis 1996 de venir en aide aux femmes et aux enfants à titre d’ambassadrice pour l’UNICEF. Devant effectuer un voyage par année dans les pays du Tiers-Monde, Béart a ainsi cosigné le documentaire Paroles d’enfants pour l’émission Envoyé spécial où elle traitait de la prostitution enfantine en Thaïlande.

"C’est un fléau mondial dont on parle peu, explique Emmanuelle Béart, et en tant qu’Européenne, je croyais que c’était un sujet qui nous concernait tous et qu’il était important de faire témoigner ces enfants des séquelles physiques et psychiques qu’ils peuvent avoir de ces années de prostitution."

Par la suite, vous avez travaillé auprès d’un organisme venant en aide aux prostituées, le Bus des femmes; était-ce pour vous préparer au rôle de Marlène/Nathalie?
"Non, ce n’était pas en relation avec le film d’Anne Fontaine. Quand je suis rentrée de Thaïlande, je me suis dit que je ne pouvais pas ignorer les mineures qui arpentaient nos trottoirs de Paris; il me semblait donc important de faire un lien entre ce qui se passait là-bas et dans les pays riches où beaucoup de filles de l’Est et d’Africaines se retrouvent sur les trottoirs."

Vous êtes tout de même allée visiter des bars comme celui où travaille votre personnage avec la réalisatrice?
"Oui, cela nous a permis de créer une forme d’intimité avec certaines femmes qui travaillaient dans ces bars; il ne s’agissait pas du tout de faire une imitation ou une caricature, mais de pouvoir, comme femme, observer leur gestuelle, leur façon de regarder les hommes, d’essayer de comprendre ce qui se passe dans ces endroits. Une chose importante que j’ai apprise grâce à Anne, c’est que ces femmes font en sorte qu’on ne puisse jamais deviner le jour ce qu’elles font la nuit. Cela m’a beaucoup inspirée pour construire avec Anne le personnage de Marlène, qui est un personnage à plusieurs facettes: Marlène le jour, Marlène la nuit et Nathalie. Par essence, Marlène est dans l’incarnation du fantasme lorsqu’elle est au travail, si l’on peut appeler cela un travail, du désir de l’autre. Dans le fond, Nathalie… raconte la rencontre de deux femmes qui, chacune à leur façon, sont sexuellement endormies; l’une parce qu’elle vit depuis 20 ans avec le même homme, l’autre en faisant absolument abstraction de son propre désir."

Anne Fontaine prétend que les prostituées fascinent davantage les femmes que les hommes, qu’en pensez-vous?
"Je pense que ce qui peut fasciner la femme chez la prostituée, c’est dans le fond ce que le personnage de Catherine (Fanny Ardant) cherche à connaître, c’est-à-dire la partie la plus particulière, la plus mystérieuse de la sexualité de son mari (Gérard Depardieu). C’est une sorte de transfert pour Catherine que de vivre cet amour sexuel par procuration, de vivre une chose à laquelle elle n’a jamais eu accès. En choisissant cette prostituée, Catherine a la sensation de pouvoir accéder à nouveau à la sexualité de son mari, mais sous une autre forme. Je ne sais pas si les prostituées fascinent; je crois plutôt que c’est la sexualité qui fascine les gens en général et qui semble être une source de fantasmes inépuisable. En tant que femme, je pense que la prostitution est un truc qui fait mal, je ne crois pas qu’une seule fille au monde ait rêvé un jour d’être prostituée."

À l’instar du tournage de La Répétition de Catherine Corsini, celui de Nathalie… semble avoir été difficile; Anne Fontaine est-elle si exigeante?
"Comme je l’ai déjà dit: tout ce que je pourrais dire de dur sur elle ne pourrait être qu’un compliment. Je ne sais pas si elle m’a amenée plus loin que d’autres réalisateurs, mais elle m’a amenée jusqu’au bout, et c’est énorme, c’est formidable! (rires) Nathalie… fait partie des films qu’on n’oublie pas, de ceux où il y a eu un réel travail, de ceux qui ne peuvent pas ne pas vous avoir fait grandir, c’est donc un moment de vie inoubliable."

Construit en longs plans-séquences où Béart et Ardant se livrent à de longs monologues l’une en présence de l’autre, Nathalie… s’est de fait révélé un exercice périlleux:
"La fragilité que j’ai pu ressentir en tant que comédienne en faisant ces récits, je m’en suis servie en me disant que Nathalie était confrontée sans doute pour la première fois à cette situation, soit de raconter plutôt que de faire l’amour. Ce qui était très beau dans le regard de Fanny, c’était cette alternance permanente entre le plaisir et la douleur, et je me suis beaucoup inspirée de cela pour continuer à parler, m’approcher ou m’éloigner d’elle, car dans ce ballet charnel entre ces deux femmes, il n’y a pas que les mots qui soient importants, il y a les silences."

À propos de la Palme d’or…
Était-ce vraiment un choix artistique ou politique?
"Fahrenheit 9/11 marche au Québec? demande celle qui a siégé au jury auprès de Quentin Tarantino. Tant mieux! Je crois que la réponse vient du public, pour moi, ce n’était pas une question valable. Quand on choisit le métier de réalisateur, c’est une sorte d’engagement, et je ne pense pas qu’on puisse faire abstraction de la politique, car tout acte est un acte politique. À partir du moment où l’on fait un film sur la politique de Bush, on fait de toute évidence un acte politique; mais en plus de cela, il y a un film qui est là, qui touche les gens. À la conférence de presse, j’ai dit que lorsque je vais au cinéma, j’ai envie de rire, de pleurer, d’être émue et de me poser des questions, qu’on y réponde ou pas; or, j’ai trouvé tout ça dans ce film. Il n’y a pas un film dont on n’ait pas parlé deux ou trois heures, même Shrek 2! Pour nous, il y avait comme une sorte d’évidence absolue que Fahrenheit 9/11 était un vrai film. Mais encore une fois, les Français ont été extrêmement virulents et agressifs par rapport à ce choix du jury; une certaine élite a le grand privilège de savoir, mais ce n’est pas représentatif de la majorité de la population et ce qui est important, c’est que les gens sachent des choses auxquelles Michael Moore répond."